La mise en place d’un confinement de la population (incroyablement illisible par ailleurs) me semble une réponse, ou plutôt une tentative de réponse, a-économique pour faire face à la faillite des marchés dans l’incapacité d’aborder la problématique soulevée par l’émergence de la crise « sanitaire » du coronavirus.
Il me semble que toutes les solutions alternatives à opposer au confinement sont des solutions qui, au final, comptent sur les mécanismes du marché et ses capacités industrielles pour gérer la crise : toutes les solutions alternatives (masques, gels, tests, médicaments, vaccins, etc.) supposent la continuité fonctionnelle de la machine économique, alors qu’elle est justement prise en défaut !
Le confinement est une tentative de réponse de l’Etat à l’impéritie de l’économie face à la crise « sanitaire ». Il ne fait pour moi absolument aucun doute que si l’Etat avait pu mettre en scène et en œuvre une solution technique de type généralisation des masques, des tests, distribution massive de médicaments type chloroquine, etc., il n’aurait pas hésité une seule seconde.
Mais ce n’est pas parce que la technique du confinement est mise en œuvre autoritairement par l’Etat que le confinement n’est pas une méthode rationnelle et raisonnable. C’est du moins mon humble avis. Pour moi, toute alternative au confinement revient de facto à attendre une solution, à dépendre d’une solution, parfaitement aléatoire des forces du marché. Or, je n’accorde aucune confiance aux marchés : ne pas confiner en donnant des masques à tout le monde pour que rien ne s’arrête, ne pas confiner en prenant les gens pour des cobayes de l’industrie pharmaceutique pour que rien ne s’arrête, ne pas confiner sous prétexte que sa mortalité/léthalité serait limitée et qu’il y aurait donc un nombre de décès acceptables par principe (on meurt bien de tas d’autres choses…), revient finalement à dédouaner le monde de l’économie de toute responsabilité dans ce qui se passe… Mais, de toute façon, ces solutions ne sont pas, à l’heure actuelle, opérationnelles. A l’inverse cela ne revient en rien à relégitimer l’Etat.
Le confinement, et sa relative tolérance sociale, n’implique pour moi en rien une soumission à la logique de l’Etat, au contraire : le confinement est la démonstration pratique d’un échec politique, une remise en question de sa légitimité à assurer en amont la sécurité du corps social en contradiction avec ce qui fonde sa légitimité fantasmée, l’aveu de son défaut d’anticipation et la mise en lumière d’une erreur stratégique sur la trajectoire politique et sociétale suivie…
Le confinement est en fait un extraordinaire accélérateur de désorganisation sociale, politique, économique ! Si le confinement donne bien à l’Etat un répit temporel, ce ne peut être que sur le très court terme, ce qu’il sait parfaitement puisque c’est la seule explication plausible au fait qu’il jette par-dessus bord des années et des années d’orthodoxie idéologique (même si c’est encore timidement). Ainsi, on pourrait presque dire qu’on a affaire à un confinement de la responsabilité conjointe de l’Etat et des marchés dans la mise en scène inversée du confinement de la population.
Les discours martiaux du pouvoir, les références incessantes à la guerre, cachent mal l’aggravation de la désorganisation étatique, son incapacité à contrôler la confusion et les injonctions contradictoires qui naissent et se développent face à son obsession à préserver coûte que coûte les capacités de redémarrage de l’économie : mais plus le confinement durera, plus on s’aventurera en terrain inconnu, à tous les points de vue imaginables. D’ailleurs ces références militaristes continuelles sont en elles-mêmes des indices d’une mauvaise compréhension des choses, une façon de dédouaner son impuissance au regard d’une extériorité fantasmée.
La pandémie de Covid-19 n’est bien entendue pas la première (grippe asiatique de 1957, grippe de Hong-Kong en 1968, grippe russe de 1977, SRAS de 2003, grippe aviaire de 2009, le MERS en 2012, sans oublier d’autres maladies émergentes comme la maladie de Lyme, la légionellose, Ebola, VIH, Zika, dengue, et sans omettre des maladies plus connues comme le choléra, le paludisme, la peste ou la typhoïde – etc.), et s’il est évident que le risque pandémique a été depuis des années envisagé, anticipé, programmé, ce qui se passe aujourd’hui n’en est que plus édifiant.
Il est pour moi significatif que la prétendue augmentation des capacités techniques et opérationnelles de l’économie conduise dans les faits à une fragilisation de la situation planétaire globale : on assiste à un début de processus d’implosion de l’économie planétaire, par un effet domino sidérant, dont personne ne peut aujourd’hui imaginer l’issue.
La réalité est bien un pilotage à vue : le confinement pourra éventuellement apparaître ultérieurement comme disproportionné, mais quels sont les critères actuels pour en juger ? J’aurais tendance à dire qu’ils se ramènent finalement tous à la question du coût économique et de la pertinence économique du confinement, comparativement à ses conséquences potentiellement exorbitantes sur la viabilité du système lui-même. Le point de départ de mon analyse est que la situation actuelle s’explique en grande partie par l’absence de solution économique immédiatement opérationnelle, absence de solution qui explique l’incroyable degré d’improvisation des solutions étatiques de remplacement.
Je crois que c’est une erreur de rentrer dans le débat forcément biaisé de savoir quelle serait la meilleure solution économique et/ou politique pour faire face à la crise « sanitaire », personne n’ayant à mon avis de réponse vraiment pertinente. C’est plutôt cette absence de solution pertinente qui m’interpelle, et les réactions des uns et des autres face à l’inconnu, face à l’imprévu, face à l’embardée historique, face à l’absence de visibilité claire de ce qui se passe…
Louis – Colmar, le 20 mars 2020