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Voici un vaste panorama de l'articulation de la question de la biodiversité et de la santé humaine, qui met en évidence les liens intimes qui associent destruction des écosystèmes par la déforestation, l'urbanisation, l'agriculture industrielle et la globalisation économique avec l'émergence des "zoonoses".

*

Marie-Monique Robin, La fabrique des pandémies, Préserver la biodiversité, un impératif pour la santé planétaire, La découverte 2021 (avec la collaboration de Serge Morand)

Préface – Serge Morand

Il ne faut pas balayer d’un revers de main une « théorie de l’échappement » du virus d’un laboratoire P4 : il faut au contraire l’étudier sérieusement, ce qui n’a pas été fait. (p8)

On connaissait depuis longtemps les risques sanitaires liés à l’élevage industriel comme source majeure de sélection et d’amplification d’agents pathogènes à potentiel pandémique. […]. Pourtant force est de constater l’échec des stratégies de préparation par les acteurs publics au risque sanitaire pandémique, comme d’ailleurs des stratégies de prédiction des émergences. (p9-10)

[…] les écologues de la santé ont montré que les émergences croissantes de nouvelles maladies infectieuses sont associées en majorité aux interfaces entre animaux domestiques et faune sauvage. […]. Les écologues de la santé s’inquiètent également de l’augmentation spectaculaire des élevages d’animaux de « rente » (bovins, volailles, etc.), conjuguée à l’uniformisation génétique (afin de complaire à l’industrialisation) et à la disparition concomitante de l’élevage familial qui entretient une diversité de races locales adaptées à des environnements locaux. (p10)

La mondialisation de la marchandise agricole est donc une cause majeure des pandémies affectant humains et animaux. […]. La solution n’est donc pas de se préparer au pire d’une prochaine pandémie, mais de l’éviter en s’attaquant aux causes, c’est-à-dire aux dysfonctionnements des relations entre les humains et les non-humains. (p11)

Introduction – une « épidémie de pandémies » (p13)

[…] la pression qu’exercent les activités humaines sur la biodiversité crée les conditions d’une « épidémie de pandémie », pour reprendre les termes de Serge Morand […]. (p13)

Le cocktail qui favorise les émergences de maladies infectieuses est bien identifié, documenté et expliqué : la déforestation pratiquée à large échelle dans les pays du Sud […] ; la fragmentation des forêts tropicales et espaces naturels […] ; et la globalisation qui encourage le déplacement de milliards d’humains, d’animaux et de marchandises d’un bout à l’autre de la planète. (p14)

[les zoonoses] font partie des « nouvelles maladies émergentes », dont le nombre a littéralement explosé au cours des cinquante dernières années : alors que dans les années 1970, une nouvelle pathologie infectieuse était découverte  tous les dix à quinze ans, depuis les années 2000, le rythme s’est considérablement accéléré pour passer à au moins cinq émergences identifiées par an. (p14)

[…] le meilleur antidote contre l’émergence de maladies infectieuses est la préservation de la biodiversité. [Les scientifiques] ont identifié les mécanismes à l’œuvre, comme l’« effet dilution » grâce auquel une riche biodiversité locale a un effet régulateur sur la prévalence et la virulence des agents pathogènes, dont l’activité est maintenue à bas bruit dans les écosystèmes équilibrés. (p15)

Ce grand aveuglement collectif est entretenu par la balkanisation des disciplines scientifiques et des instances ministérielles, qui fonctionnent en « silos », sans aucune connexion entre elles. (p15)

La majorité des scientifiques qui s’expriment dans ce livre est convaincue que non seulement l’effondrement est possible, mais qu’il est déjà en marche. (p16)

[…] il y a un lien direct entre la crise de la biodiversité et la crise sanitaire. (p17)

CH1 – Le retour des pestes (p19)

De fait, après la seconde Guerre mondiale, le combat contre les épidémies infectieuses qui avaient décimé l’humanité au cours des siècles passés semblait sur le point d’être gagné. Partout la médecine moderne – avec ses antibiotiques et ses vaccins – et l’agro-industrie – avec ses insecticides – grignotent alors l’empire des pestes. (p20)

[…] personne n’avait envisagé que les bactéries infectieuses pourraient développer une résistance aux antibiotiques […]. […] c’est un souci qui est apparu dans les années 1990. (p22)

[…] les chercheurs étaient obsédés par les virus, mais n’essayaient pas de comprendre pourquoi ils infestaient subitement les humains […]. (p26)

[les facteurs d’émergences des maladies infectieuses émergentes, qu’elles soient causées par des virus, des bactéries ou des parasites : ]. Le premier facteur [est] purement génétique […]. Pour faire simple, l’agent pathogène qui provient généralement d’un réservoir animal s’introduit dans un nouvel hôte, où il subit un réarrangement ou une combinaison avant de se disséminer dans cette nouvelle population. Mais tous les autres facteurs [sont] de nature écologique ou sociale : le développement de l’agriculture et de certaines activités industrielles, comme les mines ou l’exploitation forestière, qui permettent aux humains d’entrer en contact avec des animaux sauvages et des pathogènes nichés dans des espaces naturels jusque-là intacts. […]. Les autres facteurs [sont] la croissance démographique et l’urbanisation, le commerce et les voyages internationaux, mais aussi le démantèlement des structures de santé, sans oublier le changement climatique. (p30)

[… la conférence de Washington de 1989] entérine un concept innovant : celui de virus émergent, avec une causalité anthropique. En d’autres termes : désormais ce sont les activités humaines qui constituent le principal facteur de risque sanitaire. […]. [Ce concept d’émergence] constitue un dépassement de la conception pasteurienne de la maladie infectieuse qui reposait sur une équation simple : un virus = une maladie. L’être humain, par ses activités, s’introduit dans l’équation. Avant, il était juste le théâtre, à son corps défendant – c’est la cas de le dire ! – de la lutte contre le virus ou l’agent pathogène, cher à Louis Pasteur et à Robert Koch. (p31-32)

La conférence de 1989 annonce le ralliement de la santé publique américaine à la doctrine sécuritaire de la preparedness. [… ce terme désigne] le dispositif mis en place par l’État pour se préparer à faire face à des situations d’urgences et de catastrophes, qu’elles soient d’origine naturelle, comme un cyclone, militaire ou sanitaire. […]. [Cette doctrine] fait partie du programme de mobilisation développé par les États-Unis pour soutenir l’effort de guerre, en reconfigurant rapidement leur appareil industriel : du jour au lendemain, il fallait produire massivement des chars, des avions ou des munitions. Il s’agissait aussi de structurer le gouvernement pour qu’il puisse répondre efficacement et avec une grande flexibilité à n’importe quel type d’urgence mettant en danger son propre fonctionnement, mais aussi la population. Cette manière d’anticiper une catastrophe future, en planifiant la réponse à l’avance, a été reprise et amplifiée dès le tout début de la guerre froide. Le but était de se préparer à un événement sans précédent aux États-Unis, à savoir une guerre nucléaire : comme les effets étaient inconnus, il fallait imaginer ce qu’ils pourraient être et identifier nos manques et besoins. (p34-35)

Dans les années 1960 et 1970, cette doctrine de la preparedness s’est progressivement propagée, pour embrasser toutes sortes d’événements catastrophiques, comme des désastres naturels, des attaques terroristes ou des accidents industriels ou écologiques. C’est après la conférence de Washington qu’elle a aussi inclus les risques sanitaires, à travers le concept d’agents pathogènes. (p35)

Quelle est la différence entre  la prévention et la preparedness ? […]. La prévention concerne des maladies qui sont connues et existent déjà […]. […]. En revanche, la preparedness vise des maladies qui n’ont pas encore existé et qui peut-être n’existeront jamais. (p36-37)

La méthode des scénarios marque le passage du régime de la prévention, telle qu’elle prévalait jusqu’à la fin des années 1980, à celui de la preparedness, m’a expliqué l’historien Patrick Zylberman. Dans le premier, on vise à gérer les risques sanitaires connus, qu’on peut mesurer en recourant notamment à des probabilités ; dans le second, les probabilités ne servent à rien, puisqu’on ne peut pas prédire l’apocalypse ou le chaos. La technique des probabilité est remplacée par l’usage des scénarios du pire, qui entérine un renoncement à la rationalité et une dégringolade vertigineuse dans la fiction […]. (p39)

[…] avec la fin de la guerre froide, la santé publique va être happée par la nouvelle doctrine de défense et de sécurité nationale qui naît sur les ruines du mur de Berlin. La résultat, c’est la montée progressive d’un catastrophisme sanitaire qui finira par contaminer l’Europe. (p40)

[…] l’hyperpuissance américaine s’est retrouvée sans ennemis, ce qui a provoqué une véritable crise d’identité au sein de l’Alliance atlantique et de l’Otan, son bras armé. […]. Il fallait donc trouver un nouvel ennemi : ce sera le bioterrorisme. (p41)

« C’est un échec total… Je n’aurais jamais imaginé que nous soyons si peu préparés… Et maintenant nous payons très cher notre inaction... » Dans la bouche de Stephen Morse, ces mots avaient quelque chose d’irréel. [… Pourtant, Joshua Lederberg et Morse] « ont joué tous les deux un rôle fondamental pour le développement initial des concepts et de la politique de biosécurité ». (p48)

Trente ans plus tard [après 1989], de multiples études ont montré que la destruction de la biodiversité est probablement le facteur principal de l’émergence de maladies infectieuses. La science qui peut vraiment nous aider s’appelle « écologie de la santé » (disease ecology), car elle permet de comprendre les interactions entre animaux sauvages et domestiques, les écosystèmes et les besoins de l’homme. Est-ce que la « guerre contre les virus » a des points communs avec d’autres guerres emblématiques des États-Unis, comme la « guerre contre le cancer », la « guerre contre la drogue » ou la « guerre contre la terreur » ? [… réponse de Stephen Morse:] « Elles ont en commun qu’elles coûtent très cher et qu’elles sont infinies parce qu’elles ne s’attaquent pas aux causes... ». (p51)

CH2 – Les activités humaines provoquent l’émergence des maladies infectieuses. (p53)

Dans le monde anglo-saxon, la disease ecology désigne la science qui étudie le rôle des facteurs environnementaux dans l’origine et la transmission des agents infectieux. (p54)

[…] aujourd’hui, on n’a décrit que 10 % des espèces de parasites, qui, avec les microbes et les virus, représentent plus de la moitié des organismes vivants sur terre. Soit un organisme sur deux qui vit aux dépend des autres. (p55)

Souris et rats ont accompagné l’espèce humaine au gré de ses pérégrinations et des modifications apportées aux habitats à partir de la révolution néolithique, de la sédentarisation et de l’émergence des civilisations agraires. […]. Les rongeurs sont les réservoirs d’un grand nombre d’agents de maladies infectieuses et en premier lieu de la peste. […]. Les muridés sont les réservoirs de nombreux autres agents microbiens dont ceux du typhus murin, du typhus des broussailles et des redoutables fièvres hémorragiques virales avec les hantavirus et le virus de la fièvre de Lassa, parmi tant d’autres. (p57-58)

Je dois reconnaître que, jusqu’à la fin des années 2000, je [Serge Morand] partageais la vision qui prévalait alors dans les milieux de la conservation et contre laquelle je me bats aujourd’hui sans relâche : protégeons la biodiversité en mettant une partie de la planète sous cloche, et puis laissons le reste aux humains, qui peuvent continuer à tout dégrader, voire s’entretuer, on s’en fout ! (p58)

[… une étude] a recensé 335 « événements » de maladies infectieuses émergentes (MIE), rapportées entre 1940 et 2004 dans The Journal of Infectious Diseases. Elle y constatait que 60,3 % des MIE sont des zoonoses, c’est-à-dire des maladies d’origine animale, dont près des trois quarts proviennent d’animaux sauvages, comme Ebola ou le sida. [… ces « événements »] concernaient trois types de causes : de nouvelles souches de pathogènes déjà existants (comme pour la tuberculose résistante aux antibiotiques ou le paludisme résistant à la chloroquine) ; des pathogènes qui ont fait récemment leur apparition chez les humains (comme le VIH ou le coronavirus du SARS, le syndrome respiratoire aigu sévère) ; et enfin des agents infectieux qui avaient historiquement contaminés les humains mais dont l’incidence a considérablement augmenté (comme pour la maladie de Lyme). (p59)

[…] il y avait un lien entre les activités anthropiques et les MIE. Le meilleur exemple est celui du virus Nipah […]. L’histoire du virus Nipah que l’on pourrait intituler « Comment les plantations d’huile de palme menacent la santé humaine » commence en 1998 dans le sud-est de la Malaisie […] où sont installées des fermes industrielles de porcs, élevés en plein air sous des arbres fruitiers. Subitement frappés d’une pathologie inconnue, les cochons se mettent à tomber comme des mouches. L’étrange mal atteint bientôt les ouvriers agricoles qui meurent d’une encéphalite foudroyante (une inflammation du cerveau), puis les employés des abattoirs de Singapour, car la production est destinée au marché chinois. [Une virologue de l’armée de Singapour …] découvre que le virus mortel appartient à la famille des paramyxovirus (comme les agents de la rougeole et des oreillons, chez les humains, ou de la peste bovine chez les animaux domestiques). Le réservoir de ce pathogène, jusque-là inconnu, est une espèce de grandes chauves-souris frugivores (du genre Pteropus), appelées « roussettes » ou « renards volants », qui avaient été chassées de leur habitat naturel sur l’île de Bornéo en raison de feux de forêts provoqués pour développer des plantations de palmiers à huile. (p62-63)

Cette histoire est emblématique, car elle résume plusieurs facteurs qui contribuent à l’émergence des nouvelles pestes, m’a expliqué Serge Morand. Le premier, celui par qui tout le problème arrive, c’est la déforestation à des fins ici de monoculture ; le deuxième ce sont les animaux domestiques qui servent de pont épidémiologique entre la faune et les humains, mais aussi d’amplificateur, quand ils sont élevés de manière industrielle ; le troisième, c’est l’intégration dans le marché global d’un pays qui – comble d’ironie ! – ne mange pas de porc, en raison de sa culture musulmane. Tous ces facteurs sont d’origine anthropique. (p63)

Au printemps 2020, l’association [Global Forest Watch] a rendu public le bilan de l’année 2019 : 24 millions d’hectares [de forêts] ont disparus, dont 3,8 millions d’hectares de forêts primaires tropicales. (p64)

En 1990, la couverture forestière représentait 31,75 % de la surface de la planète ; trente ans plus tard, le taux est tombé à 30,75 %, a poursuivi Serge Morand. Cette chute est considérable, car il faut enlever bien sûr la surface des océans et des déserts. Il y a aussi un problème : la FAO considère comme des « forêts » les monocultures d’hévéas et de palmiers à huile, qui ont souvent été plantés après avoir détruit les forêts tropicales. (p65)

[…] les épidémies zoonotiques ont principalement lieu là où on déforeste. (p66)

Près de 90 % des études que nous avons consultées montrent que le changement d’usage des sols a un impact sur la transmission des pathogènes zoonotiques. (p67)

[…] d’une manière générale, le risque de transmission des maladies infectieuses croît dans les espaces agricoles qui ont été développés dans les aires déforestées, pour pratiquer l’élevage ou les monocultures, ainsi que dans les zones urbanisées, en bordure de ces aires. […]. En effet, le phénomène de la déforestation conduit à un point de rupture irréversible dans les écosystèmes, qui perturbe radicalement les communautés animales en provoquant des réactions en cascade. Lesquelles, au final, affectent… l’homme. (p68)

D’une manière générale, les zones périurbaines dans lesquelles se développent l’élevage et l’agriculture créent des ponts pour les microorganismes qui étaient abrités dans la biodiversité des forêts, vers les populations humaines. De même, en réduisant les espaces forestiers, on contraint des espèces animales à cohabiter ou à se rencontrer de manière beaucoup plus fréquente, ce qui permet un échange d’agents microbiens. (p69)

La recherche sur les maladies infectieuses émergentes a permis une vraie révolution, parce qu’elle a fait voler en éclats le mythe de la « barrière des espèces ». Quand j’étais étudiant dans les années 1970, on m’a appris qu’en général la transmission interespèces de pathogènes n’était pas possible. Or on a découvert que dans la nature tous les coups sont permis. (p70)

Nous avons découvert qu’une augmentation de la pluviométrie [en Guyane], de plus en plus courante avec le changement climatique, pouvait découpler les effets de la déforestation sur la mycobactérie responsable de l’ulcère de Burulli. (p75)

[deux enseignements d’une étude de terrain en Bolivie :] 1) une fois qu’on a passé un certain point de bascule, la dégradation des écosystèmes est irréversible ; 2) on ne pourra pas préserver efficacement l’environnement sans régler la question de la pauvreté. J’ai été aussi très impressionné de constater que l’érosion des écosystèmes s’accompagne d’une érosion culturelle tout aussi dramatique. (p78)

[…] les routes, encore plus si elles sont goudronnées, provoquent des microcrises climatiques, parce que le sol se réchauffe. De nombreux arbres meurent aux abords des routes. De plus elles provoquent une fragmentation des communautés animales, voire leur disparition quand il s’agit de gros mammifères. D’une manière générale, pour fuir l’activité perturbatrice de la route, les animaux sont contraints de se déplacer et parfois de changer de comportement. […]. Viennent ensuite les effets indirects : la route est toujours le prélude à des activités de déforestation, pour exploiter le bois, des ressources minières ou développer l’élevage ou l’agriculture. (p79-80)

S’il n’y avait pas eu de routes ouvertes dans les forêts tropicales d’Afrique de l’Est, il n’y aurait probablement jamais eu d’épidémie de sida ou d’Ebola ! (p80)

Les animaux domestiques associés aux humains depuis très longtemps jouent un rôle central dans la  transmission de pathogènes issus de la faune sauvage vers les humains, mais aussi vers d’autres animaux domestiques. (p81)

[…] l’acquisition des maladies infectieuses par les humains est en grande partie liée à l’histoire de la domestication animale. (p81)

Les échanges infectieux ne se font pas que dans un seul sens. Les humains ont aussi donné des maladies infectieuses aux animaux lors de leur domestication. Ainsi, l’agent de la tuberculose bovine est issu de l’agent de la tuberculose humaine. (p82)

Les cochons jouent un rôle central dans le réseau infectieux que partagent humains et animaux domestiques. Lorsqu’un virus zoonotique trouve les clés pour passer aux porcs, c’est la voie royale pour son humanisation. (p83)

Si nous ne repensons pas radicalement notre rapport à la nature et aux animaux, nous entrerons dans une ère de confinement chronique […]. (p83)

Pour faire face à la demande [induite par l’explosion de l’urbanisation chinoise], s’est développée une véritable industrie alimentaire, dont les marchés humides constituent les piliers. […]. C’est la massification de la production animale qui est à l’origine des émergences infectieuses, comme celle de la grippe aviaire. Si vous y ajoutez le destruction de l’environnement et la globalisation des échanges, vous avez un cocktail qui conduit inéluctablement à des pandémies mondiales. (p87)

Les élevages intensifs augmentent les risques de pandémie de grippe. (p88)

[les marchés aux animaux vivants existent également pour pallier un insuffisant développement de la chaîne du froid en Chine]. (p89)

[les élevages intensifs de poulets aggravent le risque pandémique] parce que les poulets des grands élevages sont des clones du point de vue génétique. (p89)

Pour une pandémie de grippe [aviaire], il y avait deux régions du monde qui faisaient peur à tout le monde […], à savoir l’Asie du Sud-Est – tout particulièrement le Vietnam et la Thaïlande – et le Mexique, où sont concentrés d’énormes élevages de porcs et de poulets, avec à proximité des concentrations de populations extrêmement élevées. Finalement ce fut le Mexique, avec la grippe H1N1. [… la caractéristique de ce virus est d’être] une construction assez rare avec une recombinaison de séquences génétiques issues de grippes porcine, aviaire et humaine. (p90)

Pour que ce passage [chez l’homme] ait lieu, il faut un hôte intermédiaire, et pour cela le porc est idéal, car il a des récepteurs antigéniques qui marchent à la fois pour les oiseaux et pour les humains. Donc, pour qu’il y ait une épidémie de grippe […], il faut un virus qui circule chez les oiseaux – sauvages puis d’élevage –, qui saute chez le porc, puis chez les humains. (p91)

CH3 – Les liens entre la biodiversité et les maladies infectieuses émergentes. (p93)

Les trois quarts de la planète sont sous domination humaine et en état de dégradation parfois très avancée. Les scientifiques sont très inquiets, voire découragés, car l’érosion de la biodiversité s’accélère et, pour de nombreuses espèces, on s’approche d’un point de non-retour. (p93)

[…] un million d’espèces animales et végétales sont menacées d’extinction (sur 8 millions recensées), dont un quart des mammifères, un sixième des oiseaux, un tiers des amphibiens, des mammifères marins et des récifs coralliens. (p94)

[…] entre 2002 et 2013, 2500 conflits pour l’accès aux combustibles fossiles, à l’eau, la nourriture et la terre ont eu lieu dans le monde, lors desquels un millier de journalistes et militants écologistes ont été tués. [perso : et les habitants locaux?] (p95)

L’IPBS [Plateforme intergouvernementale d’expertise sur la biodiversité et les services écosystémiques, crée en 2012 sur le modèle du GIEC] a été saisi par cent trente-sept gouvernements [suite à la pandémie de covid-19], qui nous ont demandé de faire un rapport spécifique sur le lien entre les pandémies et la biodiversité. (p97)

L’idée que la santé des humains est liée à celle de l’environnement est largement méconnue dans les instances dirigeantes. (p97)

[…] le rapport de l’IPBS a montré qu’aujourd’hui seuls 3 % de l’océan peuvent être considérés comme sauvages. (p98)

La diversité biologique désigne la variété de toutes les formes de vie, à tous les niveaux des systèmes biologiques, c’est-à-dire au niveau des molécules, des organismes, des populations, des espèces et des écosystèmes [Bruce Wilcox]. (p101)

[le concept de biodiversité est cependant réductionniste et représente une construction sociale occidentale car] nous n’avons pas tenu compte de l’expérience ni des valeurs, et encore moins des besoins des populations qui dépendent de la biodiversité pour vivre. […]. On ne pourra jamais protéger efficacement la biodiversité si on ne résout pas la question de la pauvreté et si on ne revoit pas de fond en comble le système économique qui génère cette pauvreté. (p102)

Les épidémies de maladies infectieuses précédemment inconnues représentent l’un des problèmes scientifiques les plus difficiles auxquels la société est confrontée aujourd’hui. […]. [Il s’agit] de promouvoir une vision holistique qui intègre les processus biologiques depuis le niveau moléculaire jusqu’à la dynamique comportementale des écosystèmes dans laquelle est imbriquée la relation entre les pathogènes et leurs hôtes, en relation avec les changements démographiques, sociaux et environnementaux. (p103)

Contrairement à ce que les scientifiques pensent généralement, y compris certains écologues, il n’y a pas d’un côté les humains et, de l’autre, les écosystèmes. […]. […] l’histoire des maladies infectieuses est corrélée à celle des changements sociaux et environnementaux causés par l’activité humaine, et vice versa. (p104)

La peste de Justinien [qui a sévit de 541 à 767 dans tout le bassin méditerranéen] marque la fin de l’Antiquité et le début du monde médiéval. […]. Entre 1347 et 1353, la peste noire frappe à son tour la Méditerranée et l’Europe, tuant au moins un tiers de la population européenne. (p105)

[…] on ne peut lutter efficacement contre un agent pathogène sans connaître le milieu dont il est issu et les conditions biologiques et environnementales qui favorisent sa transmission. (p106)

Les zones intertropicales abritent beaucoup plus d’agents pathogènes que les régions septentrionales plus tempérées comme celles d’Europe ou d’Amérique du Nord. La raison est simple : il y a une corrélation positive entre la richesse en oiseaux et mammifères et celle des microorganismes que ces animaux abritent. En d’autres termes : les régions que l’on considère comme des hots spots de biodiversité sont riches en espèces animales et végétales, mais aussi en microorganismes de toutes sortes : virus, bactéries ou parasites. (p107)

Plus de biodiversité signifie plus de pathogènes, mais moins de biodiversité signifie plus d’épidémies infectieuses. (p107)

[…] nos résultats sont sans appel : le nombre total de maladies émergentes est positivement corrélé au nombre d’espèces de mammifères et d’oiseaux menacés d’extinction. Par ailleurs, le nombre de maladies infectieuses vectorielles est négativement corrélé à l’importance de la couverture forestière : il augmente lorsque celle-ci diminue. Dit autrement : les épidémies de zoonoses et de maladies à transmission vectorielle[*] sont liées aux pertes de biodiversité, mesurées par le nombre d’espèces sauvages menacées ou par la densité du couvert forestier. Donc, si on résume : plus de biodiversité signifie plus de pathogènes, mais moins de biodiversité signifie plus d’épidémies infectieuses. [C’est ce que l’on appelle l’effet dilution.] (p109

[perso * : Une maladie à transmission vectorielle est une maladie qui est causée par un germe pathogène (virus, parasite, bactérie) véhiculé et inoculé par un vecteur (moustique, phlébotome, tique, punaise...), ce vecteur s'étant lui-même infecté sur un hôte virémique.]

Les virus sont des agents infectieux des cellules vivantes de toutes les formes de vie, des bactéries aux plantes et aux animaux. Un peu plus de 6000 espèces de virus sont précisément caractérisées, mais leur nombre est estimé à plusieurs millions. (p112)

[…] lors des épidémies [d’Ebola] au Gabon en 1997 et 1996, les cas humains ont été précédés d’une forte mortalité chez les singes. La faune est une vraie sentinelle pour les maladies infectieuses. (p114)

[…] l’ordre des chiroptères [chauves-souris] est le deuxième plus grand groupe de mammifères en terme de richesse spécifique, après les rongeurs. Il y a donc une extrême variété. On a identifié 1400 espèces – avec 175 genres regroupés en vingt familles –, ce qui représente un quart des espèces de mammifères connues. On trouve des chauves-souris sur tous les continents, sauf en Arctique, avec des régimes alimentaires très variés [… frugivores, insectivores, hématophages ou carnivores]. (p115)

[…] les animaux domestiques hébergent huit fois plus de virus zoonotiques que les mammifères sauvages. (p119)

[…] parmi les animaux sauvages, ce sont ceux qui sont en danger d’extinction qui abritent le plus de virus zoonotiques, susceptibles de contaminer les humains. Les espèces qui sont chassées ou menacées par la destruction de leur habitat hébergent deux fois plus de virus zoonotiques que les espèces menacées par des facteurs indépendants de l’activité humaine. (p119-120)

Outre la chasse, la déforestation et la fragmentation des habitats naturels engendrent un stress chez les chauves-souris, qui provoque un affaiblissement de leur système immunitaire, encore plus sensible lors des période de soudure alimentaire, de reproduction ou de mise à bas. (p121)

[…] hypothèse : contraints de fuir leurs habitats forestiers, les « renards volants » se sont installés près de villes, où ils ont perdu l’habitude de se déplacer, parfois sur de longues distances, pour chercher de la nourriture, ce qui a causé une baisse de leur immunité collective. (p122)

De nouvelles études suggèrent que l’élevage industriel, et non les marchés de produits frais, pourraient être à l’origine de la covid-19 [Devlin Kuyek]. (p123)

Après avoir noté que les animaux intermédiaires doivent effectivement posséder un gène codant ACE2 de type humain, les auteurs [d’une étude chinoise parue dans Microbes and Infection] dressent la liste des candidats possibles : civettes, porcs, pangolins, chats, vaches, buffles, chèvres, moutons et pigeons. Et l’expert de GRAIN [Alice Latinne] de commenter : « Une grande partie des animaux de cette liste sont élevés industriellement en Chine, même certains animaux sauvages comme les civettes font l’objet d’élevages intensifs. […] Mais pour le critère de la forte densité de population, le porc constitue le candidat idéal. ». (p124)

[…] il y a eu en 2019 une épidémie de peste porcine africaine dans les énormes usines à cochon de la province de Hubaï […]. Des milliers de porcs ont été abattus… [et l’épidémie a gagné également la Thaïlande et le Vietnam]. (p124)

[…] les chauves-souris sont aussi très sensibles aux phénomènes de variabilité climatique, comme El Niño ou La Niña, qui avec le réchauffement global sont de plus en plus courant. En période par exemple de forte sécheresse, elles souffrent – comme la végétation – de stress climatique qui affaiblit leur système immunitaire, ce qui augmente leur excrétion virale. (p128)

[…] quand on capture des animaux sauvages et qu’on les entasse avec d’autres individus, ils stressent, ils ne sont pas en forme et ils sont moins résistants. Ils transpirent, bavent, urinent et défèquent. C’est un vrai bouillon de culture qui n’est bon pour personne, ni pour les animaux, ni pour les humains. Et j’ajouterai, car tout est lié : ni pour les écosystèmes d’où ont été arrachés ces animaux. (p129)

CH4 – Comment la biodiversité protège la santé : l’effet dilution (p131)

[…] tous les hantavirus ont un ancêtre commun, qui était associé à un seul et même rongeur il y a… 30 millions d’années. Ensuite, les hantavirus se sont diversifiés, tout comme leurs hôtes muridés, avec qui ils ont coévolué. Aujourd’hui, chaque espèce d’hantavirus est hébergé par un rongeur spécifique, qui est pour ainsi dire l’hôte attitré. La distribution d’un hantavirus est donc liée à l’aire de répartition géographique du rongeur qui en est le réservoir. (p131-132)

Les hantavirus Dobrova, Puumal, Séoul et Hantaan provoquent la « fièvre hémorragique avec syndrome rénal » (FHSR), identifié pour la première fois en France en 1982 […]. Comme pour tous les hantavirus, la transmission du virus à l’homme s’opère par l’inhalation des exczeta – salive, urines ou déjections – des muridés infectés ou par contact à l’occasion d’une plaie. (p132)

A la fin des années 1990, le SPH (syndrome pulmonaire à hantavirus, propagé par la souris sylvestre) a té déclaré « maladie panaméricaine » en raison de sa propagation dans toutes les Amériques, du Canada à la Terre de Feu. Dans le même temps, une autre maladie infectieuse également transmise par les rongeurs s’est propagée en Amérique du Sud et en Afrique occidentale. Causé par un arénavirus, elle provoque aussi des fièvres hémorragiques, comme celle dite de « Lassa » [… qui en 2020 a tué 80 % des femmes enceintes infectées au Nigeria]. (p133)

[Dans son étude sur les maladies à hantavirus et  arénavirus, James Mill] a observé que toutes les émergences ont eu lieu dans des environnements perturbés par des activités anthropiques, comme le développement des monocultures ou de l’élevage intensif, et caractérisés par une très faible biodiversité animale et végétale. […]. Ensuite, James Mill a observé que le rongeur réservoir du virus est systématiquement une espèce dite « généraliste » ou « opportuniste ». (p134)

Les zoologues ont identifié deux catégories qui, dans un écosystème sain, cohabitent : – les espèces « spécialistes », hautement adaptées à un type d’habitat particulier, étroitement défini, et qui ont besoin de ressources alimentaires spécifiques. […].Elles ne survivent pas à la destruction de leurs habitats naturels ; – les espèces « généralistes » ou « opportunistes », capables de s’adapter à des environnements très différents et de se nourrir avec une grande diversité d’aliments. […]. Les rongeurs […] qui vivent à proximité de l’homme sont généralement des espèces généralistes. Quand les écosystèmes sont perturbés, les espèces « spécialistes » disparaissent au profit des « généralistes », ce qui entraîne une baisse de la biodiversité des rongeurs. (p134-135)

[L’« effet dilution »] stipule qu’une riche biodiversité locale a un effet régulateur sur la prévalence, la transmission et la virulence des pathogènes. (p136)

[…] le cycle de développement de la tique Ixodes ricinus est tout à fait particulier. Il se déroule en trois stades, qui peuvent s’étendre sur deux à six ans : de l’œuf pondu par une femelle naît une larve qui se transforme en nymphe d’environ 2 mm, laquelle double de taille pour devenir un adulte. A chaque stade, y compris celui de la ponte des œufs, la tique a besoin d’un repas sanguin pour se nourrir, dont la durée  varie de trois à sept jours, selon son niveau de développement. A la fin du festin, elle se détache de l’hôte, dont elle s’est gorgée, et tombe sur le sol, où elle a besoin d’humidité pour survivre et où elle peut attendre plusieurs mois, avant de passer au stade suivant de son cycle de développement. (p138-139)

[…] plus les hôtes non compétents [c’est-à-dire incapables d’assurer la survie d’un pathogène] sont nombreux et diversifiés dans un écosystème par rapport aux hôtes compétents, plus la transmission du pathogène est affectée négativement et plus le risque d’infection pour les humains diminue. En d’autres termes : les souris [à pattes blanches qui sont le principal réservoir de la bactérie Borrelia burgdorferi, responsable de la maladie de Lyme] jouent le rôle d’amplificateur du risque infectieux, tandis que les hôtes non compétents ont un effet inhibant, car ils permettent au contraire de le diluer. (p139)

Le risque de contracter la maladie de Lyme dans les parcelles les plus petites était cinq fois plus élevé que dans les parcelles les plus grandes. […]. [… Les souris à pattes blanches] sont des généralistes, qui se reproduisent rapidement et sont capables d’occuper de vastes territoires avec des environnements très variés. Par ailleurs, la densité de leur population est inversement proportionnelle à la taille des aires forestières : plus la forêt est fragmentée, plus elles prolifèrent. (p140)

Dans les années 1990, la population de vautours en Inde s’est effondrée. La cause : l’utilisation massive d’un anti-inflammatoire, le diclofénac, administré au bétail, qui s’est révélé mortel pour les charognards. […]. Le médicament vétérinaire a entraîné une hécatombe : 95 % des trois espèces indiennes de vautour ont péri. L’extermination des nécrophages [… a entraîné] une prolifération de chiens errants, principale source de transmission du virus de la rage [responsable entre 1996 et 2016 d’une épidémie qui aura causé 30 000 morts par an]. (p141)

[…] les prédateurs, et plus généralement la biodiversité, protègent la santé humaine. (p141)

[…] en Inde les vaches sont sacrées pour des raisons religieuses, mais aussi parce que leur présence est protectrice : les paysans hindous savent que si l’on dort près d’elles, elles vont attirer les moustiques, vecteurs du paludisme, qui vont se nourrir sur elles et du coup ignorer les hommes. (p142)

[…] quand la biodiversité se réduit en raison des activités anthropiques, les premières victimes sont les grands prédateurs et les herbivores, comme les lions, girafes et éléphants, ce qui entraîne la prolifération de petits mammifères comme les rongeurs, qui hébergent les trois quarts des virus zoonotiques. De même, dans le domaine agricole, les paysans savent depuis des lustres que la diversité  dans un champ permet de réduire la transmission de certaine maladies végétales. (p142)

L’écologie est l’étude des interactions et les maladies infectieuses sont le résultat d’interactions entre un microorganisme, un virus ou une bactérie qui vit dans un hôte – animal ou plante – et qui interagit à un moment avec nous. Donc chaque maladie infectieuse est intrinsèquement un système écologique. (p143)

[…] l’effet dilution [est] observé dans des domaines aussi variés que les invertébrés aquatiques, les amphibiens, les oiseaux, les mammifères, mais aussi les plantes. (p147)

L’absence de diversité dans les champs est la principale cause des maladies des cultures [Christian Lannou]. […]. C’est précisément parce que la diversité génétique est très faible dans les cultures intensives que les agriculteurs utilisent autant de pesticides […]. (p147)

En épidémiologie végétale, c’est le pathogène qui bouge avec le vent et la pluie. (p148)

[En Irlande] On estime qu’en 1845, plus d’un million d’hectares de pomme de terre étaient cultivés sur les versants escarpés de l’île. « Quand la pomme de terre a été introduite en Europe par les conquistadors du Nouveau Monde, elle est arrivée sans le pathogène qui lui est associé, à savoir le mildiou […]. Pendant près de trois siècles, les Irlandais ont donc cultivé le tubercule sans problème de maladie. Mais quand le mildiou a débarqué, il a fait des ravages, car il y avait d’immenses monocultures, sans aucune diversité génétique ». [ce qui a entraîné la grande famine qui a décimé l’Irlande au milieu du XIXe siècle, catastrophe qui fit un million de morts et jeta deux millions d’Irlandais sur les routes de l’exil]. (p149)

[…] d’une manière générale, l’intensification agricole rend la production très vulnérable. (p150)

Si on veut sortir de cette impasse, il faut entièrement repenser le système de production agricole mais aussi forestier, en réintroduisant de la biodiversité. Car très clairement, il y a un lien entre la biodiversité et la santé végétale. (p151)

Petite parenthèse : lorsqu’ils étudient un milieu naturel, les écologues font la distinction entre les facteurs « biotiques » et « abiotiques ». Les premiers désignent les interactions entre les différents organismes vivants, comme la compétition pour la nourriture, la prédation ou le parasitisme, mais aussi les caractéristiques physiologiques de ces mêmes organismes, comme leur taux de reproduction, leur durée de vie ou leur mode de déplacement ; les seconds ont trait aux composants physico-chimiques de l’écosystème, comme la lumière, la structure chimique de l’eau ou du sol, la température ou l’humidité de l’air. (p154)

[…] notre synthèse de la littérature scientifique [David Civitello] suggère que, depuis 1940, les facteurs agricoles sont associés à plus de 25 % de toutes les maladies infectieuses qui ont émergé chez l’homme, et à plus de 50 % des maladies zoonotiques. Ces pourcentages risquent d’augmenter avec l’expansion et l’intensification de l’agriculture. Les pesticides et engrais chimiques polluent les nappes phréatiques et les ressources aquatiques […], et nous avons observé que la dégradation de la qualité de l’eau contribue à l’émergence de maladies infectieuses, comme la schistosomiase [encore appelée bilharziose] qui affecte plus de 200 millions de personnes chaque année dans les régions tropicales. (p155)

[…] la construction de barrages et le développement de l’agriculture irriguée entraînent une augmentation de la distribution et de la prévalence de la bilharziose, qui menace 800 millions de personnes. (p156)

[…] la présence de résidus d’engrais et de pesticides chimiques dans les eaux augmente le risque de bilharziose pour les humains. (p157)

[Pour Civitello], l’une des plus grande difficulté de l’écologie est qu’elle doit sans cesse combiner des informations obtenues à différentes échelles géographiques, allant du niveau très local au niveau régional ou même national. [… pour les maladies infectieuses], on peut faire le constat : plus on fait un zoom avant, plus les facteurs biotiques, comme les interactions locales entre les différents organismes vivants, jouent un rôle important ; plus on fait un zoom arrière, plus les facteurs abiotiques, comme le climat, apparaissent déterminants. Mais, bien souvent, ces deux types de variables entrent en synergie : c’est particulièrement vrai pour l’impact de la perte de biodiversité et du changement climatique sur l’émergence de maladies infectieuses. […]. [… ces mesures que nous devrions prendre] impliquent un changement dans les relations que les humains entretiennent avec leur environnement, comme leur rapport à la faune sauvage, ou leur manière d’exploiter les forêts et les océans. (p161)

En substance, l’effet dilution est observé, quand : 1) « les hôtes diffèrent en qualité pour les pathogènes ou les vecteurs » ; appliqué à l’exemple de la maladie de Lyme, cela veut dire : quand il y a des hôtes très compétents (comme les souris à pattes blanches) et d’autres qui le sont moins (comme les tamias) ou pas du tout (comme les écureuils) ; 2) « les hôtes de haute qualité sont surtout présents dans des communautés avec une faible diversité d’espèces, tandis que les hôtes de basse qualité le sont plutôt dans des communautés plus diverses » ; 3) « les hôtes de basse qualité régulent l’abondance des hôtes de haute qualité ou des vecteurs, ou réduisent la fréquence des contacts entre ces derniers et les pathogènes ou vecteurs ». « Nous n’avons jamais dit que l’effet dilution était systématique […] car, en écologie, il n’y a jamais rien de systématique ! […]. De fait, dans un même système hôtes-parasites, on peut avoir des mécanisme contradictoires, qui favorisent en même temps la dilution et l’amplification des agents pathogènes. […] nous avons observé que lorsqu’il y a une réduction de la biodiversité, l’effet dilution est plus fort que celui d’amplification. (p164)

C’est une astuce épistémologique très prisée des industriels de la chimie ou des climatosceptiques : ils réclament une preuve expérimentale impossible à réaliser ! (p165)

L’effet dilution nous dit qu’en préservant la biodiversité, nous protégeons la santé des écosystèmes, des animaux, des plantes et des humains […]. […]. Le système économique dominant repose sur l’exploitation, voire la destruction, de la biodiversité [explique Richard Ostfeld]. (p166)

J’ai vu [Gerardo Suzàn] comment les grandes entreprises violaient les territoires indigènes qu nom du « développement », qui n’apportait aucun bénéfice aux communautés, au contraire : elles étaient marginalisées et entraient dans le cercle vicieux de la pauvreté, parce que l’environnement, dont elles dépendaient pour vivre, était détruit. Arrivaient aussi toutes sortes de maladies dues à la fragmentation des habitats naturels. C’est là que j’ai compris que tout était lié : la santé des écosystèmes, des animaux sauvages et domestiques et des humains ; et que la politique de conservation de la biodiversité était aussi un moyen de lutter contre les maladies et la pauvreté. (p168)

J’ai constaté qu’il s’agissait toujours de la même espèce de muridés, qui était porteuse de l’hantavirus. […]. J’ai découvert […] qu’à chaque type d’habitat correspondait une ou plusieurs espèces de rongeurs spécifiques, mais que c’était dans les forêts intactes et les aires protégées qu’on trouvait la plus grande diversité. (p169)

Notre étude confirme que la diversité génétique réduit la transmission des agents pathogènes. Il n’y a aucun doute là-dessus ! (p171)

CH5 – Les maladies non transmissibles : l’hypothèse de la biodiversité (p173)

[… un article de 2001, Joshua Lederberg définit le concept de « microbiome » comme la « communauté écologique de microorganismes commensaux, symbiotiques et pathologiques qui littéralement partagent notre espace corporel. » En d’autres termes : le microbiome comprend l’ensemble des virus, bactéries et champignons qui vivent à l’intérieur de notre corps et sur notre peau. Il est constitué de plusieurs « microbiotes », comme le microbiote cutané qui compte un million de bactéries par cm² de peau. Ou le microbiote intestinal qui héberge quelque 100 000 milliards de microorganismes, pesant environ 1,5 kg chez un humain adulte… […]. S’il est en déséquilibre, on dit que le microbiote intestinal souffre de « dysbiose », à l’origine de maladies inflammatoires comme la maladie de Crohn, mais aussi le diabète de type 1, l’asthme ou les allergies. Or ces pathologies chroniques, qui affectent un nombre croissant de personnes, notamment de jeunes, sont considérées comme des facteurs de comorbidité de la covid-19. […]. De même, le dérèglement du microbiote intestinal pourrait être à l’origine du fameux « orage inflammatoire » qui plonge certains patients de la covid-19 dans un état grave, parfois létal. Or des chercheurs ont montré que la biodiversité environnementale joue un rôle clé pour la constitution d’un microbiome équilibré dans les cinq premières années de la vie. (p174-175)

L’exposition précoce à la biodiversité est significativement associée à un faible risque de développer des allergies dont le rhume des foins. (p178)

Intitulée « L’homme de Vitruve », l’œuvre est signée du peintre florentin Léonard de Vinci (1452-1519), qui suggère ainsi que le microcosme du corps humain est relié au macrocosme de l’univers. (p179)

Nous sommes protégés par deux couches imbriquées de biodiversité, qui sont constituées des microbes résidant dans nos corps et de ceux de l’environnement dans lequel nous vivons. […] Pour préserver notre biodiversité intérieure – qui interagit étroitement avec le système immunitaire –, nous devons préserver la biodiversité extérieure. [Tari Haahtela]. (p180)

Nous avons constaté que le risque atopique [prédisposition génétique au développement cumulé d'allergies courantes] était inversement proportionnel au nombre des microbes détectés dans les poussières des maisons : plus il y avait de microbes, moins il y avait d’allergies chez les enfants. (p182)

Un contenu élevé de microorganismes dans l’eau de boisson peut être associé à un risque réduit d’atopie, indépendamment d’autres facteurs déterminants. (p183)

[… l’hypothèse hygiéniste, formulée en 1989 par David Strachan] postule que l’aseptisation du mode de vie occidental – avec la bétonisation des villes, l’obsession de la propreté ou l’usage démesuré d’antibiotiques – fait le lit des maladies allergiques, auto-immunes et inflammatoires, en raison de la réduction drastique de l’exposition aux agents infectieux, qui provoque alors des réactions immunitaires excessives ou inappropriées. (p184)

[…] à bas bruit, ces microorganismes environnementaux ne sont pas dangereux, et peuvent même être considérés comme une sorte de vaccin vivant. Ils font partie des « vieux amis » […]. […]. Or c’est précisément parce que ces « vieux amis » ont été systématiquement éliminés dans les environnements urbains des pays dits « développés » qu’on assiste, aujourd’hui, à une augmentation constante des maladies associées à une « immunorégulation déficiente et à des réponses inflammatoires mal régulées ». (p184-185)

[…] le microbiote cutané est plus sensible à l’environnement qui nous entoure que le microbiote intestinal. (p186)

[…] les enfants qui sont nés dans des fermes traditionnelles ou biologiques sont protégés de l’asthme et des allergies. Je précise [Donata Vercelli] que l’effet protecteur est nul quand les fermes pratiquent l’agriculture intensive. Nous avons identifié trois sources majeures de protection : les vaches, le foin et le lait non pasteurisé. […]. […] la protection s’acquiert dès le plus jeune âge, à un moment où le système immunitaire est en pleine construction. (p188-189)

Un nouveau-né a un intestin vide de microbes. […]. La composition du microbiote est le fruit de cet te interaction précoce entre l’apport microbien de la maman et celui de l’extérieur. Plus cet apport est diversifié, plus l’organisme du petit doit s’adapter, en développant des réponses appropriées. En fait, les microbes participent à la programmation de fonctions vitales, comme l’immunité. Comme les combinaisons possibles sont quasiment infinies – il y a des milliers de milliards de microorganismes contre seulement 25 000 gènes –, chaque microbiome est absolument unique, au point d’être considéré aujourd’hui comme la véritable carte d’identité d’un individu. (p190-192)

Au cours de leurs migrations vers l’Eurasie, les humains modernes ont rencontré d’autres hominidés, tels les Néandertaliens et les Dénisoviens. Les analyses génomiques montrent que nous sommes une espèce métisse, mosaïque. (p191-192)

Pour faire simple : dès qu’ils pénètrent dans l’intestin, les helminthes [vers intestinaux] déclenchent une réponse immunitaire de l’organisme, qui active les lymphocytes Th2, chargés précisément d’exterminer les parasites. Pour pouvoir survivre, les helminthes sécrètent des protéines qui bloquent l’action des Th2. Or les Th2 sont aussi associés au processus inflammatoire à l’origine de l’asthme et des allergies. Donc, par leur présence, les nématodes évitent à l’organisme de se mobiliser contre des allergènes – comme le pollen ou certaines protéines, telles que le gluten –, qui du coup ne sont pas considérés comme des agents infectieux ou du « non-soi ». En d’autres termes : ils modulent le système immunitaire pour éviter d’être expulsés et, ce faisant, ils protègent l’organisme des désordres inflammatoires […]. (p194-195)

[…] une exposition précoce aux vers intestinaux permet de diversifier la composition du microbiote et donc de renforcer le système immunitaire. (p195)

En biologie, l’homéostasie désigne un phénomène qui permet à un facteur important, par exemple la température ou le taux de sucre sanguin, de se maintenir à un niveau stable et bénéfique pour l’organisme. (note p195)

Le principe est simple : pour se construire, le système immunitaire a besoin d’être mis à l’épreuve par les « vieux amis » de l’homme que sont les bactéries, les virus ou les parasites, qui peuvent provenir de sources diverses et complémentaires. Et tout passe par le microbiome […]. (p196)

[…] l’uniformisation des environnements urbains et des modes alimentaires, que l’on constate dans les grandes métropoles, conduit à une uniformisation des microbiomes et donc des pathologies. (p196)

Il est aujourd’hui clairement établi que l’infection précoce par des helminthes, à bas bruit, protège les enfants des allergies et de certaines pathologies inflammatoires, comme l’asthme. (p199)

Je m’interroge [André Garcia] sur la pertinence des campagnes de déparasitages massives [en Ouganda ...], car l’éradication des helminthes pourrait entraîner l’émergence de pathologies chroniques liées au dérèglement du microbiote, comme le diabète, l’hypertension ou la maladie de Crohn, qui frappent les pays du Nord et qui, pour l’heure, épargnent les populations rurales africaines. (p199)

Si l’on se fonde sur le taux de mortalité dû à la covid-19 rapporté à l’âge et sur les caractéristiques démographiques de l’Afrique, il devrait y avoir quatre fois moins de morts qu’en Europe, or c’est quarante fois moins ! (p200)

Les maladies chroniques et les maladies infectieuses sont interconnectées. La perte de biodiversité est une arme à double tranchant : d’un côté, elle favorise le contact avec des agents pathogènes que l’homme n’avait jusque-là jamais rencontrés ; de l’autre, elle rend les humains plus susceptibles d’être affectés profondément par ces nouveaux microorganismes infectieux. En résumé, la destruction de la biodiversité signifie plus d’exposition et plus de fragilité [Jeroen Douwes]. (p201-202)

[… j’aimerai bien que les gouvernements en fassent autant qu’ils font pour sauver l’économie] pour juguler ces tueurs silencieux que sont les maladies chroniques non transmissibles, comme l’obésité, le diabète, les maladies respiratoires et les cancers. C’est ma première observation. La seconde, c’est que les patients qui ont souffert de complications graves après leur infection par le SARS-CoV-2 développent fréquemment des pathologies chroniques, comme celles que j’ai précédemment énumérées. Il est donc impératif que les autorités publiques cessent de traiter séparément les deux types de pandémies, car elles sont intimement liées. Je rappelle que le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), qui dépend de l’OMS, a identifié plus de trente agents infectieux provoquant des cancers. La séparation entre les maladies infectieuses et les maladies chroniques est artificielle […]. (p202)

[… la pandémie de covid-19 est un signal d’alarme]. Si nous ne revoyons pas de toute urgence notre notre rapport à la nature, nous vivrons dans une ère de confinement chronique […]. (p203)

La conclusion [d’une étude néo-zélandaise] fut que le fait de vivre près d’un espace vert réduisait les risque asthmatique d’au moins 15 %, mais que l’intensité de la protection dépendait de la qualité de la végétation. […]. Pour que la protection soit efficace, il faut une végétation diverse et native de l’île. (p204)

[…] la santé humaine dépend de celle des écosystèmes et des animaux, car tout est interconnecté. (p205)

Quelle ironie, nous sommes confrontés simultanément à deux nouvelles menaces de maladies pandémiques : celle de maladies infectieuses transmissibles dues à de nouveaux pathogènes émergents et celle de maladie non transmissibles dues à la disparition de pathogènes ! [Serge Morand]. (p205)

Tous les pays asiatiques émergents – comme la Thaïlande, la Corée, Taïwan, ou Singapour – ont des  taux de mortalité très faibles. Ce n’est pas seulement parce que leur population est jeune, car le Japon, qui compte plus de 28 % de seniors, n’a pratiquement pas de morts de la covid-19. En revanche, ces pays ont ce que j’appelle des valeurs collectivistes ou communautaires très fortes, à la différence des pays occidentaux qui fonctionnent plus sur un mode individualiste. (p206)

[… l’humanité] représente l’espèce animale la plus parasitée, avec plus de 1 400 microbes répertoriés, dont plus de 60 % sont d’origine zoonotique. Les humains ont acquis ces agents pathogènes lors de trois événements majeurs : 1) lors de la dispersion « hors d’Afrique », il y a au moins 120 000 ans […] ; 2) lors de la révolution néolithique au Moyen-Orient, il y a 12 000 ans […] ; 3) lors des différentes étapes de la mondialisation [moderne …]. […]. La quatrième transition épidémiologique a commencé au milieu du XXe siècle, m’a dit Serge Morand. Elle est liée à la grande accélération des échanges : tout se met à bouger dans tous les sens, les humains et les pathogènes. Elle est liée aussi à l’agro-industrie qui a uniformisé les paysages, ainsi que les microbiotes humains et animaux. Les pratiques d’élevage intensif ont d’abord transformé le corps des animaux, devenus incapables de se reproduire ou de manger seuls et qui sont tous malades. L’agroalimentaire est en train de faire la même avec les humains, qui sont de plus en plus mal nourris – qu’ils soient en état de malnutrition ou d’obésité – et qui souffrent de maladies chroniques. Il est vraiment temps que nous changions de paradigme, car cela risque de mal se terminer… (p209)

CH6 – Vers une écologie planétaire de la santé (p211)

[… Jakob Zinsstag] est le premier à avoir utilisé dans la littérature biomédicale le concept de « One Health » (une seule santé), qui prône une collaboration étroite entre médecine humaine et médecine vétérinaire […]. (p211)

L’impact des humains est visible partout, sur le climat, l’air, l’eau, les aliments, la biodiversité et, bien sût, la santé [Jakob Zinsstag]. (p212)

[…] les médecines humaine et vétérinaire ont les mêmes fondements scientifiques et, jusqu’au XVIIIe siècle, elles relevaient d’un enseignement unique à l’université. (p213)

Les études génétiques montrent que le génome humain est similaire à 99 % à celui des grands singes et à 95 % à celui des cochons. C’est pourquoi les agents pathogènes évoluent dans un continuum qui relie les humains aux animaux sauvages et domestiques. (p214)

La résistance antimicrobienne est une illustration parfaite de ce que j’ai appelé précédemment une « erreur monumentale » : les vétérinaires et médecins ont administré, chacun de leur côté et de manière absolument abusive, des antibiotiques sans tenir compte de la proximité qui nous unit aux animaux. (p215)

[Stéphane de La Rocque] a pu observer comment la déforestation et l’implantation de monocultures de coton ou de maïs avaient accru le risque d’exposition à la mouche tsé-tsé, le vecteur de cette maladie vectorielle [la trypanosomiase, encore appelée « maladie du sommeil »], qui auparavant dans un environnement riche en biodiversité ne sévissait qu’à bas bruit : privé de ses hôtes traditionnels, à savoir la faune sauvage, l’insecte s’est rabattu sur les humains et leurs animaux domestiques, aggravant la prévalence de la maladie. (p218)

Les élevages intensifs asiatiques, qui agissent comme de vraies boites de Pétri – quand un pathogène y pénètre, il fait un ravage ! –, fournissent  des poussins d’un jour aux industriels de la volaille de tous les continents. (p220)

Cette zoonose [la fièvre de la vallée du Rift], qui provoque des fièvres hémorragiques « absolument terribles » chez les ruminants, est causée par un virus du genre Phlebovirus, transmis par les moustiques. Les humains se contaminent par contact direct avec du sang ou d’autres fluides provenant d’animaux infectés ou, dans une moindre mesure, par des piqûres d’insectes infestés. De 2006 à 2010, une vague d’épidémies a gagné progressivement toute l’Afrique, dans les secteurs frappés par la déforestation, l’expansion urbaine ou l’exploitation minière. [En fait, la viande issue d’un animal infecté est tout à fait consommable. C’est l’abattage qui est dangereux]. (p221)

[…] il y a trente ans, les zoonoses étaient traitées en une heure de cours à la faculté de médecine ! (p223)

[…] maladies à transmission vectorielle, comme le paludisme, la fièvre jaune, la dengue, la fièvre catarrhale du mouton (maladie de la langue bleue), la fièvre du Nil occidental, mais aussi la grippe aviaire ou les helminthiases, comme la bilharziose ou l’échinococcose [qui est une zoonose causée par l’échinocoque, un ver plat, que peuvent transmettre aux humains les animaux de compagnie, comme le chien ou le chat. Se développant lentement, elle peut conduire à de graves dégâts au foie – note]. Les auteurs [de l’étude Changement climatique. Impact sur l’épidémiologie et les stratégies de contrôle des maladies animales] étaient unanimes : le changement climatique affectera ces maladies infectieuses, quel que soit leur mode de transmission. (p224)

[…] les insectes font partie des organismes qui sont le plus affectés par le climat […]. (p225)

[…] les pathogènes zoonotiques, c’est-à-dire qui affectent à la fois les humains et les animaux, sont plus sensibles au climat que les pathogènes strictement humains ou animaux. (p225)

[…] le climat modifie la distribution de tous les arthropodes : les moustiques, les moucherons ou les tiques. Les changements de température ou d’humidité leur permettent de conquérir de nouveaux territoires ou de devenir plus abondants. (p225)

El Niño correspond à un réchauffement des eaux, tandis que La Niña est caractérisée par un refroidissement. Liés à la variabilité climatique, El Niño et La Niña représentent les deux phases opposées d’un phénomène associant océan et atmosphère, appelé ENSO (El Niño-Southern Oscillation). Les rapports du [… GIEC] indiquent que le changement climatique provoque une augmentation de la fréquence et de l’intensité des événements El Niño-La Niña, ce qui se traduit par des sécheresses ou des précipitations extrêmes, affectant le régime des moussons et donc la production agricole en Afrique et en Asie, ainsi que les épidémies de maladies vectorielles ou à réservoir, comme la dengue, la fièvre de la vallée du Rift, le paludisme ou les fièvres hémorragiques à hantavirus. (p227)

Nous avons montré que le phénomène El Niño de 2015-2016 a provoqué une épidémie de peste dans le Colorado et au Nouveau-Mexique, ainsi que de choléra en Tanzanie, en raison de pluies excessives ; il est également à l’origine d’une épidémie de dengue au Brésil et en Asie du Sud-Est, en raison de températures exceptionnellement élevées. (p228)

Il ne faut pas se faire d’illusions:le virus SARS-CoV-2 est désormais présent partout dans le monde, y compris chez les chats, les chiens et nos animaux domestiques. (p229)

Comme l’a dit dès 1958 Charles Elton (1900-1991), l’un des fondateurs de l’écologie moderne : « Nous assistons à l’une des plus grandes convulsions historiques dans le monde animal et végétal ». Cette convulsion est due à la déforestation et à la fragmentation des habitats naturels à grande échelle. Si l’on se place du point de vue des agents pathogènes, c’est une vraie aubaine, car en modifiant dramatiquement les écosystèmes nous leur ouvrons un nombre infini d’opportunités de s’installer dans de nouveaux hôtes. Si vous ajoutez à cela l’urbanisation galopante, avec des villes si denses qu’elles ressemblent à des boites de Pétri, puis la globalisation effrénée des échanges et, enfin, le dérèglement climatique, vous avez là un cocktail absolument inédit dans l’histoire de l’humanité, qui crée la base écologique permettant aux maladies infectieuses de se répandre en un temps record n’importe où sur la planète. Ce cocktail est l’une des principales caractéristiques de l’anthropocène. (p231)

[…] dès que se produit un changement climatique […], les espèces animales se déplacent, par exemple pour chercher de l’eau […]. Ce faisant, elles emmènent les pathogènes qu’elles hébergent dans de nouveaux espaces, où ceux-ci peuvent ainsi rencontrer des hôtes potentiels. Contrairement à ce que l’on a longtemps cru, le fait qu’un microbe soit lié à un hôte spécifique n’est pas définitif, mais dû aux circonstances : dès que le microbe est contraint de bouger, il peut s’adapter à de nouveaux hôtes, qui étaient absents de son habitat d’origine, mais phylogénétiquement proches de celui auquel il était précédemment associé. [… l’agent pathogène] s’introduit d’abord [dans un nouvel hôte], puis mute, et non l’inverse. (p232)

[paradigme de Stockholm:] […] les agents pathogènes ont hérité de leurs ancêtres la capacité d’acquérir de nouveaux hôtes rapidement, dans des circonstances de bouleversement écologique, comme un épisode de changement climatique. C’est ce que nous appelons « ecological fitting » (adaptation écologique). Pendant ces périodes où toutes les cartes sont rebattues, les agents pathogènes qui étaient initialement des « spécialistes », liés à un type d’hôte et à une aire géographique déterminée, deviennent des « généralistes ». Au fil du temps – cela peut prendre des milliers d’années –, se créent de nouvelles associations stables entre les hôtes et les parasites, qui du même coup redeviennent des spécialistes. C’est ce que nous appelons l’« hypothèse de l’oscillation » : à chaque changement climatique d’envergure, les microbes se déplacent, diversifient leurs hôtes et augmentent leur aire de distribution, pour se respécialiser progressivement de nouveau. (p233)

Tout indique que nous sommes entrés dans une nouvelle ère d’oscillation. Il y a émergence d’une maladie infectieuse quand un virus ou un parasite infectent et rendent malade un hôte avec lequel ils n’avaient pas de relation auparavant. (p234)

Une étude a montré aussi que des plantes enfouies depuis 30 000 ans dans le pergélisol sibérien pouvaient être régénérées. Qu’en est-il des virus et autres bactéries qui dorment sous le manteau de glace depuis des millions d’années, contre lesquels l’humanité n’a aucune immunité ? (p236)

[…] quatre « maladies sensibles au climat » ont commencé leur ascension vers le pôle Nord : l’encéphalite à tiques, la maladie de Lyme, la maladie de la langue bleue et la fasciolose. « Les vecteurs arthropodes – moustiques, tiques ou moucherons – et les animaux réservoirs de maladies infectieuses – rongeurs, oiseaux et ongulés sauvages – devraient aussi étendre leur distribution vers le nord » […]. « Les populations humaines et animales qui n’ont jamais été exposées à ces maladies sont immunologiquement naïves et devraient donc souffrir plus sévèrement de ces nouvelles épidémies. » (p237-238)

Sur l’ensemble de la planète, nous avons constaté que les espèces terrestres se déplaçaient vers le nord à un rythme d’environ 17 km par décennie […]. Quant aux espèces marines, elles parcourent 72 km par décennie, à la recherche d’eaux plus froides. (p238)

Pour pallier la demande d’une population croissante, l’aquaculture a connu un boom extraordinaire. Or cette activité, qui fournit du travail à plus de 100 millions d’asiatiques, est aussi, avec l’élevage de bétail, l’une des principales utilisatrices d’antibiotiques. […]. Environ 80 % des antibiotiques administrés via l’alimentation des animaux aquatiques d’élevage se disséminent dans les environnements voisins (eau et sédiments) ; ils y restent actifs pendant des mois à des  concentrations permettant une pression sélective sur les communautés bactériennes, favorisant ainsi le développement de l’antibiorésistance. (p239)

Les systèmes écosystémiques sont définis comme des bénéfices et des avantages que les personnes et les sociétés humaines obtiennent du bon fonctionnement des écosystèmes. (p240)

[…] les émergences infectieuses dans les pays du Sud sont un problème de santé publique à l’échelle mondiale, et pas seulement locale. (p241)

Notre définition de la santé planétaire [par Andrew Haynes, 2015], c’est l’accomplissement du meilleur état de santé, de bien-être et d’équité mondiale possible en portant une attention judicieuse aux systèmes humains – politiques, économiques et sociaux – qui dessinent l’avenir de l’humanité et aux systèmes naturels de la Terre qui définissent les limites environnementales, à l’intérieur desquelles l’humanité peut prospérer. Dit simplement : la santé planétaire désigne la santé de la civilisation humaine et des systèmes naturels dont elle dépend. (p241)

La pandémie de covid-19 a eu le mérite de mobiliser la communauté des soignants qui ont compris que les graves désordres environnementaux provoqués par un système économique absolument non soutenable pouvait remettre en cause les progrès de la médecine des cinquante dernières années. (p242)

Pour relever les défis qui caractérisent l’anthropocène, nous avons besoin de tout repenser de manière systémique. (p243)

[…] dans le système économique dominant, ce qu’on appelle les « externalités », c’est-à-dire les coûts environnementaux et sanitaires des activités industriels ou agricoles, ne sont pas prises en compte […]. La pollution de l’air est responsable de 9 millions de décès prématurés chaque année, soit 16 % des décès dans le monde, trois fois plus que le sida, la tuberculose et le paludisme réunis. […]. L’agriculture industrielle a un coût environnemental et sanitaire qui n’est jamais pris en compte. (p244)

Avec vingt-six scientifiques [le Pr Rockstöm a publié en 2009 dans Nature un article qui] définissait neuf seuils biophysiques de la Terre qu’il ne fallait pas dépasser sous peine de causer notre perte : le changement climatique, la couche d’ozone dans la stratosphère, l’acidité des océans, les transformations de l’occupation du sol, la perte de biodiversité, la consommation d’eau douce, les cycles de l’azote et du phosphore, la pollution aux aérosols atmosphériques et la pollution chimique. Ces auteurs constataient que nous étions sortis de la « zone de sécurité » pour trois d’entre eux : le changement climatique, le cycle de l’azote et la perte de biodiversité. (p245)

De par son histoire, One Health s’intéresse surtout aux liens entre la santé animale et humaine. Le cadre de Planetary Health est beaucoup plus large, puisqu’il inclut le dérèglement climatique, la production d’aliments, la pêche industrielle ou l’aménagement des villes. Il concerne toutes les activités humaines […]. (p245)

[…] le fardeau sanitaire n’est pas distribué équitablement, car ce sont les plus pauvres qui sont le plus durement frappés. Les activités humaines qui détruisent les écosystèmes font quelques gagnants et de nombreux perdants [… mais il y a un gouffre entre ceux qui profitent de ces activités et ceux qui payent le prix d’une santé dégradée]. (p247)

[…] au Ghana la surexploitation des poissons par les grandes compagnies de pêche européennes a provoqué un effondrement de la pêche artisanale, qui a entraîné une chute de l’offre en poissons sur les marchés locaux, laquelle a stimulé la chasse d’animaux sauvages dans les réserves naturelles, affectant la population de quarante et une espèces, dont certaines sont menacées d’extinction. En résumé : l’activité non durable des industriels de la pêche a pour conséquence une augmentation drastique de la consommation de viande de brousse, avec tous les risques sanitaires que cela induit. (p247)

[…] on ne pourr[a] pas préserver durablement les écosystèmes si on ne règl[e] pas la question de la pauvreté, qui est aussi celle de la démographie […]. (p248)

[… il y a un] impact de l’augmentation du CO2 dans l’atmosphère sur la valeur nutritive des principales cultures qui nourrissent las populations du Sud, comme le riz ou le maïs. […]. Résultat : un appauvrissement en zinc et en fer, qui ajoutera 200 millions de personnes supplémentaires au milliard qui souffre déjà de déficience en minéraux. De plus, un excès de CO2 dans l’air réduit la teneur en protéines des plantes mais augmente celle de l’amidon, ce qui « entraîne un risque accru de maladies cardio-vasculaires ». […]. […] une réduction de 50 % des abeilles et consorts provoquerait une réduction de la production de fruits, avec ou sans coques, et de légumes qui entraînerait une baisse de l’apport en vitamine A et B9, laquelle serait à l’origine de 700 000 morts par an. [note : La vitamine B9 […] joue un rôle essentiel dans le développement du système nerveux du fœtus. Une carence de la mère entraîne un retard de croissance ou des malformations graves chez le bébé. Par ailleurs, une carence en vitamine A affecte la vue et le système immunitaire.] (p249)

[…] les interactions entre la nutrition et les maladies infectieuses […] sont capitales. (p251)

[…] l’obésité augmente la sévérité de l’infection grippale, mais aussi la diversité et la virulence du virus. (p251)

[…] l’obésité réduit considérablement la sensibilité des vaccins. […]. Chez une personne obèse, la réponse antivirale est perturbée, en raison d’un état inflammatoire chronique qui inhibe le système immunitaire. Certaines études suggèrent que c’est lié à un dysfonctionnement majeur du microbiote intestinal, acquis dès la petite enfance. (p252)

CH7 – Bien-être humain et santé des écosystèmes : les peuples indigènes montrent la voie (p253)

En 1992, [le Sommet de la Terre de Rio] a accouché de jumeaux : la convention sur le climat, qui a conduit à la création du GIEC, et la convention sur la biodiversité, qui n’a débouché sur rien de concret, si ce n’est sur l’affirmation que le biodiversité compte (biodiversity matters) car elle sous-tend (underpins) les biens et services qui procurent les écosystèmes aux humains. […]. […] pour la majorité des experts consultés, le fait que la biodiversité joue un rôle dans le fonctionnement des écosystèmes était loin d’être une évidence. (p256)

[…] moins il y a de diversité végétale et animale, moins les sols étaient productifs et moins ils étaient capables de retenir les nutriments et l’eau, ou d’assurer la décomposition des matières organiques qui les nourrissaient. […]. [… En vingt-cinq ans, les études confirment désormais] que la biodiversité est le pilier de la santé des écosystèmes. Ce n’est pas la première fois que des idées novatrices sont accueillies avec scepticisme par des sommités scientifiques dont la rigidité intellectuelle constitue un puissant frein au progrès. (p258)

[…] le changement d’habitat peut certes provoquer un changement dans la biodiversité, mais le changement de biodiversité entraîne aussi un changement d’habitat et, plus généralement, des dysfonctionnements majeurs des écosystèmes. (p259)

[…] deux mécanismes expliquent pourquoi la biodiversité est importante. Le premier est ce que nous appelons la « complémentarité des niches » : si, dans un écosystème, vous avez deux espèces qui accomplissent des fonctions très différentes, ce n’est pas bon du tout, car si l’une disparaît, la fonction qu’elle remplissait n’est plus assurée. En revanche, si vous avez plusieurs espèces qui jouent des rôles très similaires, la disparition de l’une d’entre elles sera compensée par les autres, ce qui évitera à l’écosystème de s’effondrer. […]. Le second mécanisme à l’œuvre est ce que nous appelons l’« effet de la sélection », qu’illustre [… David Tilman] : il a constaté que les prairies qui avaient résisté à la sécheresse étaient celles qui comprenaient une diversité de graminées capables de survivre au manque d’eau. En revanche, quand il y a un excès de pluie, ce sont d’autres espèces plus compétitives qui prennent le relais, évitant ainsi à la prairie de tout simplement mourir. La complémentarité des niches et l’effet de sélection sont les deux piliers de l’écologie fonctionnelle. (p260-261)

La biodiversité peut parfois être trompeuse [souligne Rodolphe Gozlan], surtout si l’on ne regarde que le nombre d’espèces et leur abondance, sans tenir compte des fonctions que chacune remplit dans l’environnement. (p261)

[j’aimerais bien que la pandémie de covid-19 ait changé le regard sur l’écologie, mais]. Je crains fort qu’on ne se contente de rechercher des solutions purement technologiques, en l’occurrence un vaccin ou un médicament, sans chercher à déterminer précisément ce qui a permis à un virus jusque-là inconnu d’infecter des millions de personnes. (p262)

Il existe une croyance très ancrée dans le monde scientifique […] qui est l’écomodernisme. D’après ses adeptes, l’homme est au-dessus de toutes les autres espèces peuplant la Terre et ne fait pas partie de la nature, qui est « déchaînée et sauvage » […]. Pour eux, l’utilité de la nature se mesure à l’aune de ce qu’elle nous apporte ou nous inflige : elle nous fait du bien ou du mal. C’est ainsi qu’est né le concept de « service écosystémique » qui réduit la nature à un pourvoyeur de services pour l’humanité. (p263)

[Le cerf qui provoque un accident ou le virus une maladie] font partie de la nature. Ils ne sont pas des problèmes en soi, mais le deviennent en raison des comportements humains. (p264)

[…] les rapports de l’ONU sont le fruit d’un consensus où chaque mot, chaque virgule, doivent être approuvés par les représentants des États. […]. Je considère [Shahid Naeem] donc que le rapport publié [Les écosystèmes et le bien-être humain, 2005] dresse un bilan bien en-deçà de l’état réel de la biodiversité et des écosystèmes. [… cependant] il dit clairement que que les humains ne peuvent pas vivre en l’absence d’écosystème sain et de biodiversité. (p265)

[…] la biodiversité : alors qu’elle a longtemps été perçue comme une « ressource externe qui peut influencer le bien-être humain », elle est vue désormais comme « fondamentale pour le bien-être humain ». (p266)

Par ailleurs, la biodiversité constitue un puissant bioindicateur de la santé d’un écosystème : quand elle décline, c’est un signal que l’écosystème n’est plus sain et que les services, notamment de régulation des maladies, ne sont plus opérationnels. (p267)

Plusieurs événements comme le réchauffement climatique qui blanchit les coraux, ou le ruissellement des pesticides qui les empoisonnent, provoquent une surproduction de microalgues toxiques, comme certains dinoflagellés, qui permettent à la toxine de contaminer les petits poissons herbivores. Ensuite, le poison s’accumule tout au long de la chaîne alimentaire [… jusqu’aux humains]. (p267)

[… les Romains] n’ont pas anticipé les conséquences sanitaires de l’abattage massif d’arbres, pour construire des bateaux, des forts et surtout des routes. En développant les routes – qui étaient certes d’excellente qualité comme la voie Appienne, absolument remarquable –, ils ont changé l’hydrologie des écosystèmes et du coup créé d’innombrables petites marais aux abords des artères et des villes, ce qui a permis aux moustiques de coloniser l’ensemble du territoire et de faire du paludisme un problème majeur de santé publique. De plus, l’abattage des arbres a anéanti un service écosystémique de la forêt qui est la régulation des maladies, en faisant disparaître les prédateurs qui se nourrissaient d’insectes comme les moustiques. On observe la même phénomène aujourd’hui avec la déforestation de l’Amazonie, qui provoque une expansion du paludisme ou du zika. (p269)

Selon la théorie de la social-écologie, qui vise à lier le métabolisme écologique et le métabolisme social, les systèmes sociaux sont vus comme des systèmes hybrides entre culture (échanges de communications) et environnement (échanges métaboliques). Les sociétés humaines sont caractérisées par des stocks et des flux de populations et l’environnement par des stocks et des flux biophysiques (infrastructure, élevage) au sein et entre territoires caractérisés par leur productivité biologique et leur mode de gouvernance. (p270)

L’un des effets des incendies [de forêt] qui est souvent sous-estimé, voire ignoré, c’est l’impact sur la santé mentale […]. (p272)

La forêt joue un rôle dans les équilibres hydrologiques, la température locale et le stockage du carbone. En revanche […] les forêts, comme l’Amazonie, ne produisent pas d’oxygène ! En effet, l’oxygène qu’émettent les arbres, après avoir absorbé le carbone de l’ai, est reconsommé pendant la nuit au cours de ce qu’on appelle la « respiration cellulaire ». L’oxygène que nous respirons vient à 99 % du plancton des océans, où il a été emmagasiné depuis des milliards d’années. (p273)

Les forêts représentent le deuxième plus grand puits de carbone après l’océan […]. [L’impact du dérèglement climatique] est très inquiétant ! On estime qu’aujourd’hui 70 % des forêts sont en état de stress hydrique, c’est-à-dire qu’elles manquent d’eau. Lorsqu’elle passeront un certain seuil […] elles cesseront de capter du carbone et commenceront à relâcher dans l’atmosphère tout le CO2 que les arbres ont stocké notamment dans leurs racines. Cette « boucle de rétroaction positive » provoquera un emballement des émissions de gaz à effet de serre… (p273)

[…] le sentiment de bien-être et d’équilibre que procure une marche en forêt. A l’inverse, la destruction des forêts provoque des troubles psychologiques et physiques, qui sont aussi bien documentés. (p274)

[…] la destruction de parties de la forêt tropicale entraîne une augmentation significative de l’incidence de la diarrhée et des maladies respiratoires chez les enfants de moins cinq ans. L’un des services écosystémiques de la forêt est, en effet, de filtrer l’eau. (p275)

Au début, j’étais [Georg Cadisch] focalisé sur les microorganismes et les légumineuses qui permettent d’accroître la fertilité des sols, surtout lorsqu’ils sont appauvris par des monocultures. Et puis, petit à petit, j’ai réalisé que c’est la biodiversité qui nourrit les sols et qu’à l’inverse, la perte de biodiversité a un impact immédiat sur la santé des sols et des écosystèmes. (p278)

Aujourd’hui, les deux tiers de la nourriture mondiale dépendent de trois plantes : le maïs, le blé et le riz. Ce n’est pas bon pour la santé des sols et des écosystèmes ni pour celle des humains. (p279)

90 % de la production de caoutchouc proviennent de six pays qui forment la sous-région du Grand Mékong, dont la Thaïlande et la province chinoise du Yunnan […]. (p279)

C’est précisément parce que la société occidentale a ignoré les savoirs ancestraux des peuples premiers que l’humanité traverse la plus grave crise écologique et culturelle de son histoire. (p281)

Malheureusement […] les intérêts économiques à court terme priment toujours sur les intérêts à long terme. C’est pourquoi l’humanité ne pourra s’en sortir que si elle parvient à changer de logiciel, en s’inspirant notamment des peuples indigènes […]. (p284)

[…] les diversité biologique, culturelle et linguistique sont des manifestations interconnectées de la diversité de la vie sur Terre. […]. Pour comprendre l’interconnexion entre les diversité biologique, linguistique et culturelle, m’a expliqué Luisa Maffi, il faut s’immerger dans la cosmologie des nations autochtones qui, malgré les forces contraires, ont su maintenir une relation intime et interdépendante avec l’environnement naturel. (p285)

La nouvelle carte [qui additionnait les 866 écorégions mondiales et les aires linguistiques de 6 800 langues parlées sur les cinq continents] montrait clairement que les écorégions riches en biodiversité végétale et animale étaient également celles où il y avait la plus grande diversité linguistique, mais aussi culturelle. […]. […] la disparition de la diversité biologique s’accompagne généralement de celle de la diversité des langues. C’est particulièrement vrai dans les régions tropicales et forestières. […] Les langues sont une ressource pour la nature, dans ce sens qu’elles sont les véhicules de savoirs essentiels pour pouvoir vivre en harmonie avec l’environnement ; elles sont aussi une sentinelle, car si elles disparaissent, cela signifie que les écosystèmes auxquelles elles sont liées sont en train de s’effondrer. (p287)

[…] depuis l’ouverture de parc de Kibale [Ouganda], réservé aux touristes et scientifiques internationaux, [les guérisseurs et ethnobotanistes locaux] n’avaient plus le droit d’herboriser à l’intérieur. Ce qui est vraiment une aberration, parce que les savoirs autochtones sur l’usage médicinal des plantes sont en train de se perdre. Nous avons ainsi répertorié trois cent parties de plantes différentes que mangent les chimpanzés, sans que nous sachions si c’était pour s’alimenter ou se soigner. Petit à petit, en recoupant les usages de la pharmacopée traditionnelle et les analyses de notre laboratoire de chimie, nous avons observé que certaines plantes étaient utilisées exactement de la même manière et pour les mêmes raisons par les populations locales – appartenant à l’ethnie des Batooros – et les chimpanzés […]. […]. Parfois, les vertus thérapeutiques des plantes consommées par les chimpanzés sont ignorées des Batooros : par exemple, la Trichilia rubescens est utilisée par les humains comme antidouleur, mais comme antipaludique par les singes. (p292)

[Jean-Marc Dubost] a constaté qu’une grande partie des plantes médicinales utilisées par les cornacs [au Laos] pour soigner les pachydermes, mais aussi les humains, provenait de l’observation des pratiques d’automédication des éléphants. (p293)

[…] aujourd’hui, ce sont plus les chimpanzés que les humains qui sont détenteurs des connaissances sur les vertus médicinales des plantes. (p293)

Il faut en finir avec cette idée que nous sommes au sommet de la hiérarchie du vivant : nous ne sommes qu’une espèce parmi d’autres. Malheureusement, les seuls à l’avoir compris sont les peuples indigènes, qui sont aussi menacés d’extinction […]. (p294)

A la différence de nos sociétés modernes, régies par des lois qui fluctuent au gré des aléas politiques, celle des Kogis [Sierra Nevada] repose sur ce qu’ils appellent les « principes de la vie » qui sont intangibles et dont les mamos (chamanes) sont chargés de garantir le respect. Toute violation de ces principes provoque un déséquilibre, qui est la source de maladies des écosystèmes et des humains. (p296)

La dispersion et la compartimentation des connaissances dans des disciplines spécialisées éliminent les grands problèmes qui surgissent lorsque l’on associe les connaissances enfermées dans les disciplines. Aussi, les interrogations essentielles sont-elles éliminées. Leur ignorance entretient un ignorantisme qui règne non seulement sur nos contemporains, mais aussi sur des savants et experts ignorants de leur ignorance… [Edgar Morin]. (p299)

CH – Conclusion : l’après-covid : comment éviter la prochaine pandémie (p301)

Si nous voulons éviter un effondrement global de nos conditions de vie, les politiques doivent prendre des mesures de toute urgence pour arrêter l’érosion des écosystèmes et réduire drastiquement les inégalités sociales [Safa Motesharrei]. (p301)

Les deux raisons principales de l’effondrement [des civilisations antérieures] sont une surexploitation des ressources naturelles couplée à une distribution de la richesse produite. Les élites détournent à leur profit la plus grosse part des ressources, qui s’épuisent, conduisant à la mort massive des « roturiers », dont le travail est indispensable pour la création de la richesse. (p303)

Depuis 1950, nous avons doublé notre impact sur la planète tous les dix-sept ans.[…]. Et ce ne sont pas les solutions technologiques qui nous sauveront, car elles impliquent la consommation croissante de ressources. […]. Pour moi, cette pandémie est la preuve que le processus d’effritement qui conduit à l’effondrement est déjà en marche. (p303)

[la dérive biosécuritaire] a commencé en 1998, lors de la crise de la vache folle, qui a conduit à l’abattage de 2,4 millions de bovins au royaume-Uni. Elle s’est poursuivie en 2004, lors de l’épisode H5N1 où la Thaïlande a ordonné l’abattage prophylactique de 60 millions de poulets, en ciblant les élevages des petits producteurs, alors que les grands élevages industriels – censés être mieux contrôlés – ont été épargnés. Dans le même temps, les autorités ont interdit le repeuplement des basses-cours par les races locales. Conséquence : la biodiversité génétique des poulets, dont la Thaïlande est pourtant le centre d’origine, s’est effondrée au profit des races européennes industrielles. Notre pratique de la biosécurité va à l’encontre de la biodiversité et finalement de la santé. (p307)

Pourtant, le séquençage [exhaustif, avec le Gobal Virome Project] des virus ne servira pas à grand-chose, car leurs caractéristiques c’est de muter en permanence. (p308)

Il y a une tendance aujourd’hui qu’on appelle l’« infectiologie exploratoire » qui prétend décrire les monstres de demain. Mais ce sont nous qui les créons et les sortons du bois. (p309)

Mais d’une manière générale, en Asie comme en Afrique, c’est à la pauvreté que nous devons nous attaquer, et donc au problème de la croissance démographique. Tant qu’on vit dans la pauvreté, on ne peut pas s’occuper de protéger la nature. (p310)

[L’Unesco promeut de puis 1971 le concept de « réserve de biosphère »]. Chaque réserve de biosphère comprend une « aire centrale », où l’écosystème animal et végétal est strictement protégé ; puis une « zone tampon » où sont développées des activités « écologiquement viables », comme l’agriculture biologique ou la recherche et la formation scientifique ; enfin, une « zone de transition » où sont autorisées toutes sortes d’activités contribuant au bien-être économique et social des populations. […]. Je précise qu’un territoire ne peut obtenir ce statut s’il n’y a pas d’humains qui y vivent. (p313-134)

[…] tous les scientifiques qui se sont exprimés dans ce livre appellent à un changement de paradigme économique, qui remette en cause le sacro-saint principe de la croissance du produit intérieur brut. […] le fameux PIB [est] l’une des causes principales de l’émergence de maladies infectieuses. (p315-316)

Accroissement du bétail : un facteur pandémique mondial. […]. […] la relation entre le nombre d’espèces en danger et celui des épidémies augmente jusqu’à atteindre un pic avant de diminuer. Le risque épidémique est alors corrélé à l’augmentation du nombre de têtes de bétail. […]. Tout indique que la biodiversité a atteint ses derniers soubresauts : la disparition des animaux sauvages est telle que bientôt ils ne seront plus capables de nous fournir de nouveaux pathogènes. Ce sont les animaux domestiques, en particulier les bovins, qui ont pris le relais. De fait, le bétail a un double impact renforçant le risque pandémique : il a besoin de protéines végétales, ce qui contribue à la diminution des espaces où vit la faune sauvage, et il sert de pont épidémiologique pour le passage des agents infectieux zoonotique aux humains. Le bétail est devenu le principal facteur pandémique. (p317)

C’est trop facile de donner des leçons aux pays du Sud, il est temps d’être cohérent en prenant des mesures pour limiter au maximum la déforestation importée. (p320)

S’il ne nie pas ce déni mortifère des politiques, l’Australien Philip Weinstein n’hésite pas à pointer également la responsabilité des scientifiques eux-mêmes, « enlisés dans un réductionnisme stérile ». […]. « La science moderne fonctionne en silos, c’est-à-dire qu’elle est rigoureusement cloisonnée en disciplines extrêmement spécialisées » [Andrew Haynes]. (p321)

Plus sérieusement, la globalisation effrénée, qui trimbale des milliards de passagers, animaux et marchandises d’un bout à l’autre de la planète, est une partie importante du problème. (p323)

Il y a actuellement moins de quarante vaccins qui fonctionnent, pour des milliers qui ont été abandonnés, dont celui contre le sida. […]. Je ne dis pas [Samuel Myers] qu’il faut arrêter de travailler sur les vaccins, mais cette activité ne doit pas être conduite au détriment de la recherche transdisciplinaire, qui seule permettra de résoudre l’urgence sanitaire sur le long terme. Cela suppose notamment de revoir complètement la formation des médecins, afin qu’ils acquièrent une vision holiste de la santé, grâce à un échange permanent avec d’autres disciplines. (p324)

 

M-M Robin, La fabrique des pandémies, La Découverte 2021
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