Entre COP, G20 et élections, un maître mot, obsessionnel, hante les propriétaires actuels du monde : « au travail, bande de fainéants ! ». Il me semble donc salutaire de réaffirmer, encore et toujours, une inaliénable philosophie de la paresse…
André Rauch - Paresse, histoire d’un péché capital - Armand Colin 2013
CH1 – Acédie ou le Malin du monastère (p15)
Ce vice [l’acédie] figure parmi les péchés capitaux, au nombre de huit selon Évragre le Pontife, théoricien de l’expérience spirituelle des moines du désert : « Huit sont en tout les pensées génériques (…). La première est celle de la gourmandise, puis vient celle de la fornication, la troisième est celle de l’avarice, la quatrième celle de la tristesse, la cinquième celle de la colère, la sixième celle de l’acédie, la septième celle de la vaine gloire, la huitième celle de l’orgueil ». Les vices ou péchés capitaux désignent des inclinations au mal. […]. Le terme péché a prévalu à partir du XIIIe siècle. Quant au qualificatif de « capital », il n’indique pas la gravité, mais désigne davantage une spécificité. Un péché capital est à la tête (caput signifie « tête ») d’une armée d’autre péchés, certains bénins, d’autres plus graves. (p17)
Cette paresse n’est donc pas une simple « tentation charnelle », semblable à une fièvre momentannées, mais bien une maladie chronique. […]. Une faiblesse extrême s’empare du moine et l’empêche d’accomplir ses devoirs réguliers. (p20)
[…] l’acédie désigne le mal qui débauche le moine de la prière et des vertus, et qui l’écarte de sa foi. Cette aridité du cœur, qui assèche son amour spirituel, tarit sa relation à Dieu. A noter que si le mal mine la méditation érémitique plus que la vie active, c’est que la contemplation plaît avant tout à Dieu : la bonne pensée vaut mieux que la bonne action. (p24)
Cassien distingue deux propriété de l’acédie : l’une plonge le moine anxieux dans la torpeur, l’autre le pousse à déserter sa cellule, avec des effets différents. Prévalent tantôt la somnolence et l’indolence ; tantôt la mélancolie et l’inquiétude. Il établit par ailleurs un lien entre l’acédie et un autre vice capital, la tristesse ou « abattement de l’âme ». De fait, acédie et tristesse, qui détournent l’âme du bien, ne résultent pas de causes externes, elles germent de l’intérieur. Mais l’essentiel est ailleurs : son diagnostic établi, Cassien dénonce moins le dégoût ou la tiédeur spirituelle que l’oisiveté. Au livre X des Institutions cénobitiques, il insiste sur l’aversion de l’acédiaque pour l’effort. Il recommande au moine de « travailler à être au repos ». En l’exhortant à régler sa vie sans se soucier des rumeurs du monde, Cassien l’engage à travailler de ses mains. […]. Car nul ne vit dans l’inquiétude et ne se mêle des affaires des autres, « sauf celui qui ne trouve pas la paix à s’appliquer au travail de ses mains ». Alors que l’acédie mène à une guerre intestine, le travail des mains assure la paix. (p25)
Pauvres et vagabonds sont pour ainsi dire devenus synonymes : ils errent et ils mendient. La paresse, source de pauvreté, ronge l’œuvre commune et désorganise la vie du monastère. […]. Aussi, l’aumône ne doit-elle pas encourager l’oisiveté, mais secourir les « bon pauvres », les malades, les enfants, les vieillards ou les victimes. Toute miséricorde est assortie d’une recommandation : que celui qui en bénéficie se mette à l’œuvre. Mais le travail manuel recommandé au moine n’a pas pour but d’en tirer un bénéfice économique, ni à titre individuel ni à titre collectif. Il doit purifier le cœur, prévenir la divagation des pensées et « remporter une victoire complète sur l’acédie ». (p26)
Toute spéculation économique sur du superflu étant condamnable, le travail manuel a pour objet d’assurer la subsistance. Il garantit au moine son indépendance et lui permet de secourir les nécessiteux. Selon la doctrine, c’est de là que naît la vertu théologale de charité, qui exige que l’on se détache de la richesse. […]. Voilà la nouveauté : avec Cassien, la bonne action compte autant, voire plus, que la contemplation et la prière. (p28)
Ces recommandations [monacales à travailler, à user de ses mains pour discipliner l’acédie] annoncent une conversion des représentations et des symboles. Le pauvre ou le mendiant, jadis image du « Christ nu » (selon la formule : « suivre nu la croix nue de Jésus »), figure glorieuse de l’Élu au royaume des cieux (Job, Lazare, etc.), est devenu une illustration du péché. […]. [au XIIIe siècle] La rupture est radicale : la pauvreté n’est plus pitoyable, elle devient coupable. C’est moins l’indigence du mendiant qui est alarmante que son oisiveté : elle est condamnable et dangereuse. La pauvreté ne rend pas seulement misérable, elle sert de matrice aux autres forfaits et larcins. (p29)
Selon une formule de Siegfried Wenzel […], l’acédie est ensuite devenue « une forme générale et universelle de désordre moral ». Échappant à la vindicte des prédicateurs populaires, elle réapparaît sous forme de fainéantise, au cœur des polémiques entre moralistes laïcs. Tandis que l’inquiétude spirituelle s’est effacée, la fainéantise passe au premier plan. L’acédie, initialement liée à l’état de faiblesse d’un ermite contraint à l’isolement et soumis aux privations, s’applique désormais à la condition humaine en général et les moralistes laïcs s’en emparent. (p31)
CH2 – Le temps perdu (p33)
[vers le XVIe siècle] Théologiens, humanistes et marchands vont donc proclamer d’une même voix que le temps est le « bien » le plus précieux de l’homme. Cette conception sécularisée de la paresse la réduit à un gaspillage : non plus manquement au devoir envers Dieu, mais fléau qui dilapide les richesses matérielles. A ce propos, Jean Delumeau a fait observer que le temps clérical des cloches d’églises s’était effacé devant celui des horloges mécaniques des beffrois. (p41)
Assiégé, blessé et meurtri, [le mélancolique Pétrarque, 1304-1374] se sent exposé aux misères de la condition humaine. Son sort temporel l’enserre dans le souvenir des souffrances passées et dans la crainte des maux à venir, « sans espoir d’échapper ni d’obtenir merci, sans consolation ». Tout lui semble hostile et un cruel chagrin l’a envahi. Triste et amer, il rumine une perpétuelle rancune : « Ajoutez-y la haine et le mépris de la condition humaine. » Porté à exécrer sa réalité d’homme, il se met à haïr le genre humain dans son entier, et il ne voit dans le miroir du monde que l’extrême tristesse qu’il éprouve en lui-même. Pessimiste au départ, le paresseux finit misanthrope. Mais, voilà bien le pire ; jusqu’ici peu visible, la dimension de plaisir a surgi : quelle que soit le souffrance dont il se plaint, le malheureux poète se complaît dans son état et ne veut plus le quitter. (p47)
En résumé, la paresse ne se cantonne plus à la sphère religieuse, elle investit l’espace laïque. Plusieurs défauts la caractérisent : ignorance, lenteur, tergiversations, refus du moindre effort maintiennent le paresseux à l’écart du siècle ou le mettent à contre-courant de la modernité. Réfractaire au travail, il le devient aussi à l’autorité de celui qu’il est censé servir, nuisant à son profit et abusant sa confiance. Stérile et vaine, sa vie semble privée de sens. Les désordres de la mélancolie acédiaque vont amplifier sa désolation. Pourtant le mal ne se résume pas à la souffrance, sur le revers se profile sournoisement la concupiscence. (p47)
CH3 – Fables et utopies (p49)
Dès la fin du Moyen Age, l’exhortation à travailler se propage en Europe. Les mondanités et le désœuvrement inquiètent en effet tant les religieux que les laïcs. Cependant ballades, dits, contes, romans laissent imaginer un lieu fabuleux où l’oisiveté serait dans l’ordre de la nature. Par exemple, les fabliaux popularisent les réjouissances offertes par une contrée de rêve : le pays de Cocagne. (p50)
Ainsi, rédigée en plusieurs langues, une abondante littérature populaire traverse les frontières et glorifie un lieu, sorte de paradis du bien-être, où il fait bon paresser. (p51)
Ce pays n’est pas une simple terre d’abondance, mais un vrai jardin d’agrément : ici le gain ne se gagne ni à la sueur du front ni à la force des bras. La malédiction qui avait interdit à l’homme le jardin d’Eden n’y a pas cours. (p52)
La paresse des Cocagniens est source de paix et d’harmonie sociale. […]. Cocagne n’est pas le rêve d’une oisiveté solitaire, anxieuse ou ennuyeuse, mais une sorte de Carnaval ininterrompu, où quiétude et liberté ont pour emblème l’oisiveté. […]. En Cocagne, on ignore aussi le profit marchand ; spontanément, logiquement, les contraintes de l’économie en sont bannies ; on apprend dans Li fabliau de Coquaigne que nul n’y achète ni ne vend. En ce pays béni, tous ignorent le commerce et aucun ne cherche à s’enrichir. (p54)
Ni travail ni enrichissement ne sont à l’honneur [en pays de Cocagne] ; avares et usuriers, fâcheux spéculateurs, n’ont pas droit de cité. Un châtiment attend même ceux qui ont « l’or monnoyé ». Ces abominables personnages ne méritent aucun respect ; on leur souhaite même de ne pas se risquer à faire fortune, car les coups leurs pleuvraient sur la tête et les assommeraient. La pleine jouissance des richesses naturelles suppose le mépris du commerce et de la spéculation : paresse bien comprise n’a que faire de profit ! (p54-55)
Au pays de Cocagne, on loue donc la gourmandise mais non la goinfrerie, on héberge l’oisiveté et non l’engourdissement, on célèbre un petit somme mais pas l’hébétude. (p55)
Notons qu’au XVIe siècle « paresseux » se dit « poltron » et paresse « poltronnerie ». […]. Confronté aux épreuves, [chez Montaigne] le paresseux est donc un lâche qui se dérobe. La peur qui le saisit le détourne ainsi de dire la vérité la vérité en face, et fait de lui un hypocrite qui, pour ne pas avoir d’histoires, fuit les tracas. Faute de courage, le paresseux n’assume pas ses responsabilités et passe à côté de la vérité. (p59)
Rabelais condamne sans équivoque cette paresse qui allie goinfrerie et fainéantise, car ceux « desquels Ventre est le Dieu », occupé par le culte de leur bedaine, inutiles au monde, sont trop soucieux d’eux-mêmes pour se rendre utiles. (p60)
En humaniste, Rabelais dénonce les effets d'une enfance anarchique et oisive, à laquelle rien d'utile ni d' ordonné ne sert de fil conducteur. Le lecteur s'amuse cependant de ce jeune garçon dégoûtant et fainéant, qu'il faudra nettoyer de « toute l'altération et perverse habitude». Car cette paresse-là est passagère: la « purge canonique» ne tardera pas à guérir ce garnement et à l'extraire de son enfance. Révélateur devient dès lors le loisir en l'abbaye de Thélème (en grec: thelemas signifie «vouloir/libre arbitre»). Comparons les emplois du temps du jeune Gargantua et des Thélémites. Ici, aucune place pour les contraintes. Les Thélémites ne se laissent jamais gouverner par des lois, des règles ou des statuts : leur journée est occupée selon leur bon vouloir ou leur « franc arbitre». Ils « se levoient du lict quand bon leur sembloit », écrit Rabelais. Ensuite tous buvaient, mangeaient, travaillaient, dormaient, quand le désir leur venait. Thélème présente une utopie de la libre disposition de soi pour gens libres, bien nés, et instruits « conversans en compaignies honnestes » (Gargantua, LVII). Paradis pour lettrés, l'abbaye accueille une élite. C'est la Cocagne d'êtres qui ont la faculté de choisir leurs occupations et l'envie de s'y livrer comme bon leur semble. Rien de la récréation débridée propre à la Cocagne populaire, mais le loisir de ceux qui « ont par nature un instinct», une sorte d'aiguillon, qui les pousse sans cesse aux actions vertueuses. L’emploi de leur journée tient tout entier dans une harmonie collective : « Si quelq'un ou quelcune disoit "beuvons ", tous buvoient. » Ce plaisir de boire, de jouer ou de chasser « entre soi » n'a cure d'une sonnerie de cloche, qui imposerait un rythme absolument incompatible avec leur « bon vouloir ». À la gestion horlogère du temps, calquée sur les heures des offices liturgiques consacrés à la prière, Thélème oppose cette clause: « Fay ce que vouldras. »
L'abbaye de Thélème, à nulle autre pareille, est « le poème de la Renaissance», selon l'appréciation du spécialiste de littérature Raoul Morçay. L’oisiveté vertueuse qui y règne est révélatrice. Il n'y est pas question de paradis, mais de libre arbitre; ce n'est pas l'enfer qui menace, mais le « joug de servitude·»; il n'y a pas d'élus ou de bienheureux mais une noble compagnie (« noble affection »). Au final, les Thélémites sont sans doute de subversifs paresseux: ils ne sont pas inactifs, mais rechignent à vivre pour travailler et à concevoir l'emploi de leur temps selon une règle qu'ils n'auraient pas choisie.
En définitive, au-delà de l'utopie, Cocagne aura été au cœur de plusieurs imaginaires, à l'articulation de la culture populaire et de la culture élitaire, au passage du Moyen Âge à la Renaissance. Elle donne à la paresse une dimension politique, alors que l'acédie la condamnait dans le cadre limité des règles monastiques. Elle met en perspective un conflit de civilisation qui fait l'éloge de l'oisiveté, c'est-à-dire d'une forme de liberté, alors que par ailleurs la paresse est condamnée autant par l'Église que par les pouvoirs civils. À l'heure où la Réforme veut revenir aux textes testamentaires, Cocagne accueille l'homme chassé du paradis et magnifie le libre arbitre. (p62-63)
CH4 – Haro sur les moines et autres oisifs (p65)
La retraite des moines nuit à l’intérêt général : retirés dans leurs monastères et leurs couvents, il s se dispensent de participer à l’effort collectif. Indifférents à la société qui les entoure, ils mettent le confort de leur bedaine au cœur de leurs occupations. […]. Inquiétude et désolation qui accablent les moines ocieux ne mènent pas au paradis ; leurs mortifications n’aboutissent qu’à les égarer sur le sens de l’existence. (p67)
Le moine ocieux dont Rabelais se moque cherche à se dissimuler pour se soustraire à ses devoirs. Si sa retraite paraît honteuse, c’est que l’implication de chacun dans la réforme de la société s’est imposée comme un devoir. On est passé d’un système de valeurs à un autre, de al foi contemplative, propre aux congrégations monastiques, à l’engagement humaniste, valeur de la Renaissance. Œuvrer au renouveau devient un devoir, y manquer une indignité. (p68)
La paresse devient condamnable, car elle porte atteinte à ce qu’il y a d’humain en l’homme : l’exercice de son « franc arbitre ». […]. Serait-on passé d’une civilisation théocentrique à une civilisation anthropocentrique ? (p68)
Selon Martin Luther (1484-1546) […] il ne faudrait jamais renoncer à un métier pour se glisser dans un couvent. […]. Sur ce jugement décisif se conclut sans doute cette période du Moyen-Âge où les vœux monastiques et la contemplation par la prière servaient de modèle à l’existence. (p71)
Si modeste soit-il, un travail productif apparaît désormais plus conforme aux enseignements de l’Écriture qu’une vie de prière à l’abri d’un couvent. La revalorisation des métiers à l’époque de la Réforme bouleverse le sens de l’existence. Avoir une activité est la seule bonne réponse de l’homme à l’appel ou à la vocation divine. Luther joue ici sur l’étymologie des mots : « Beruf » (métier) et « Ruf » (appel ou vocation). […]. Le travail étant considéré comme un mandat divin, la richesse devient logiquement le fruit de la foi. (p72)
On retiendra que si on a pu opposer l’otium, sorte de recueillement à l’écart de l’agitation du monde, et le negotium, l’otiositas désigne à présent une forme de dispersion dans des occupations vaines et stigmatise le temps gaspillé à ne rien faire de bon. On relèvera aussi le paradoxe que soulèvent ces différentes thèses. Si les unes considèrent que les moines se désintéressent du monde, les autres, par contre, leur reprochent de se mêler de choses qui ne les concernent pas et de faillir ainsi à leur charge. Mais de ces points de vue opposés, ne fait-il pas déduire que la question de la paresse, synonyme d’oisiveté, est devenue un enjeu de société, dont moines et abbés sont les boucs émissaires ? (p73)
A son tour, William Perkins (1558-1602), théologien anglican à l’origine du mouvement puritain en Angleterre, condamne âprement la fainéantise. Dans une campagne menée contre les faux mendiants, il maudit les vagabonds et autres rufians, serviteurs inefficaces, moines et religieux, gentilhommes riches et oisifs, tous inutiles à la foi chrétienne et au Commonwealth. Il joint à sa liste les « papistes » qui ont ajouté, dit-il, « 52 jours de fête religieuse aux 52 sabbats ordonnés par Dieu et passent ainsi plus du quart de l’année en repos et oisivetés ». (p73)
[W.P. est également l’auteur de la formule célèbre : ] « the idle body and the idle brain is the shop of the devil » (« Le corps et le cerveau des oisifs sont l’échoppe du Diable »). (p73-75)
Au culte religieux, les Réformateurs préfèrent la culture du travail. […]. L’oisiveté est un mal qui engendre toutes sortes de vices nuisibles à la société. […]. En conclusion, puisque l’oisiveté est à l’origine de la misère et la cause de la mendicité, il faut employer un antidote pour y remédier : le travail. (p75)
Se pose d’abord la question du dogme de la création divine : pour que l’oisiveté soit péché, encore faut-il que le travail ne soit plus le châtiment du péché originel. « Si Adam était resté au Paradis pour y vivre en toute innocence, il ne fut pas demeuré oisif », affirme Luther. Dans le jardin d’Eden, avant la chute, Adam ne baignait pas dans l’oisiveté ; sa pénitence, ce ne fut pas de devoir travailler pour racheter le péché originel, mais d’être privé de la jouissance pure qu’il tirait jusque-là de son labeur. La conclusion va s’imposer : « L’homme n’a pas été créé pour être oisif mais pour travailler : il en était ainsi dans l’état d’innocence » (Commentaire du livre de la Genèse). (p76) **
Le travail devient une épreuve qu’il plaît à Dieu d’envoyer aux hommes afin que chacun travaille « selon son état auquel il est appelé » (155e sermon sur le Deutéronome). Voilà pourquoi le paresseux altère ce que Dieu a voulu. Il se dérobe à sa mission qui était de répandre et de faire fructifier l’œuvre divine. (p78)
Réfractaires à l’instruction, les paresseux se montrent facilement vaniteux, affirme Luther : ils n’écoutent personne, « peuvent tout mieux que tout le monde et savent juger toute science et toute écriture ». (p80)
La violence des critiques contre la vie monacale a traduit un changement dans les représentations de la paresse. Les premiers auteurs de la Renaissance ont fustigé la stérilité des monastères, leur improductivité. Est-ce à présent le tour de mendiants et des habitués des tripots ? Quand les comportements deviennent le cible des censeurs, les vices que génère la paresse s’enchaînent : l’ivrognerie, le tabagisme, le jeu, la querelle, etc. Autant d’exploits qui troublent la paix sociale et nuisent à la prospérité d’un pays. (p83)
CH5 – Morale et politique (p85)
Louant de courage des empereurs romains qui moururent « debout », Montaigne [1533-1592] admire la grandeur d’âme de ceux qui « tiennent toujours l’âme et le corps embesognés à choses belles, grandes et vertueuses ». Selon lui, la paresse porte la marque des corps sans besogne et des cœurs sans courage ni grandeur d’âme. Il s’en prend dès lors à cette noblesse désœuvrée, pour laquelle régner se borne à asservir. (p86)
Les sujets d’un prince oisif ne prendront pas la peine de servir un fainéant. On mesure le renversement de perspective : ce ne sont ni les mendiants ni les vagabonds qui sont à craindre, mais les princes qui donnent le mauvais exemple. Ils règnent, certes, mais en profitent pour ne rien faire. Par insouciance, de tels seigneurs manquent aux devoirs de leur état et ne pensent qu’à se distraire au lieu d’assumer leurs responsabilités. La paresse plonge ses racines dans l’incurie de ceux qui ont en charge la société. (p87)
La passivité et la torpeur, autrefois associées à l’acédie, ne sont pas la cible des critiques que lui inspire [à Montaigne] la sagesse stoïcienne. L’oisiveté fait grouiller ou papillonner de toutes parts des pensées que le paresseux ne contrôle pas. Une fois qu’elles se répandent sur le terrain de l’imagination, leur agitation les rend stériles. Bref, le paresseux est un écervelé, un esprit brouillon qui ne saurait se fixer. Oublié à présent le « démon de midi » venu perfidement provoquer l’assoupissement et détourner le moine de la prière : l’idée s’impose que le paresseux est responsable de l’errance de ses pensées et se rend captif de son imagination. Il se laisse emporter par des élucubrations qui l’entraînent à dilapider son énergie au lieu de la consacrer à la réflexion. Son esprit turbulent se montre impuissant à choisir une ligne de conduite et à s’y tenir. (p92)
Les moralistes du XVIIe siècle [cf La Rochefoucauld] se rallient à cet imaginaire selon lequel la paresse germe sur le terreau de la mélancolie. (p93)
Le paresseux ne pense qu’à s’amuser, dit-on. Mais sa quête de divertissement vient du désir d’échapper à l’ennui dans lequel il se trouve plongé. (p93)
L’idée s’est progressivement imposée que la puissance d’un État ne tient pas seulement à l’étendue de ses frontières et à l’importance de sa démographie, mais dépend de l’exploitation de ses terres et de l’attribution à chaque citoyen du poste où il se rendra utile. L’intérêt du souverain [… selon Montchrestien en 1614, à propos des États généraux de cette année] est de donner un office à chacun, et de faire disparaître la paresse dans le royaume, sur le principe : « personne qui soit capable de travailler, ne peut demeurer oisif ». (p96)
Pour lutter contre le marasme qui pourrait s’installer dans le royaume, Colbert incite donc à produire. Afin de mettre les pauvres valides au travail, il soutien la création d’hôpitaux généraux ; celui de Paris date de 1656. Un édit du 20 juin 1662 prescrit l’ouverture d’un hôpital dans chaque ville ou bourg du royaume : il n’y a rien « qui soit plus important pour bannir l’oisiveté et la fainéantise parmi le peuple que de faire de pareils établissements » déclare-t-il le 29 janvier 1672. Enfin, Colbert condamne les aumônes publiques qu’il juge préjudiciables à la prospérité de l’État, car elles encouragent la paresse et ne valorisent pas les bons travailleurs. (p97-98)
Les humanistes aux XVIe et XVIIe siècles ont inscrit la paresse dans le champ de la morale et de la politique. Si le souverain paresseux porte préjudice à ses propres intérêts, il menace aussi la richesse de l’État et le sort de ses sujets. Mettre ceux-ci au travail dépend du dynamisme des gouvernants responsables du succès de l’activité économique. (p98)
CH6 – Nature et liberté (p101)
La découverte des peuples d’Amérique au XVIe siècle attira l’attention vers des sociétés et des civilisations inconnues. Les témoignages des explorateurs sur les peuples qualifiés de « sauvages » furent utilisés comme enseignements sur la nature humaine. Jusqu’à une époque récente, ce thème de la paresse du sauvage a fait flores dans la littérature. (p102)
Les circonstances historiques de la colonisation ont induit la paresse d’un peuple, et le mécanisme de al conquête colonial a détruit un équilibre établi. Les Sauvages n’étaient pas paresseux, mais ils le sont devenus lorsque leur travail s’est révélé inutile et que le commerce les a rendus vénaux. Leur paresse est né de la colonisation […]. (p103-104)
Des thèses contraires circulent aussi. Elles qualifient cette fois les sauvages de peuples naturellement paresseux. (p104)
Aux yeux de ces Européens, chasse, pêche et guerre font partie des privilèges de la noblesse. Hormis cela, les membres de cette caste virile festoient, dansent et paressent. Comme l’a souligné la sociologue Annie Jacob, la ressemblance est donc frappante entre ce que les explorateurs interprètent des mœurs de ces peuplades et ce qu’on observe de la noblesse en Europe : bien que sauvages, les hommes se comportent en aristocrates. Ce qui était peut-être travail au-delà de l’Atlantique semble un divertissement pour ces Européens. (p106)
Sous le coup de l’expansion économique et de l’exploitation de nouveaux territoires, les privilèges traditionnels de la noblesse vont désormais passer pour de la fainéantise. (p107)
Dans les écrits philosophiques et politiques des Encyclopédistes, le thème de la paresse a souvent permis d’exalter l’état édénique, de magnifier le bonheur naturel, de célébrer l’enfance de la vie, ou d’exalter un état primitif d’insouciance. […]. L’état de nature est antinomique à l’amour du travail qui a éclos avec la vie en société. Le travail a fondamentalement contrarié la nature, mais c’était le prix d’entrée dans la civilisation. (p112-113)
Loisir et contrainte composent un couple funeste. Seule est bonne l’oisiveté qu’arbitre l’individu de son propre chef. Non pas l’inaction réglée par les conventions sociales, mais le loisir librement décidé et choisi. (p116)
Rousseau confronte différentes conjonctures : privée d’animation et de projet, la paresse devient une servitude, mais ardente effervescence elle féconde la liberté. On se souviendra à présent de ce mot d’Étienne de la Boétie (1530-1563) à son époque, « soyez résolus de ne servir plus, et vous voilà libre ». (p116)
Selon Rousseau, le travail fonde la citoyenneté et l’oisiveté atteste l’absence de civisme. […]. En clair, travailleur et citoyen ne font qu’un, et le paresseux passe pour un individu malhonnête, abusant de privilèges qu’il s’est appropriés et auxquels il n’avait nullement droit. Conclusion : « Riche ou pauvre, puissant ou foible, tout citoyen oisif est un fripon. » L’avertissement s’adresse aux puissants qui usent de leur pouvoir pour faire exécuter le travail par d’autres, et à ces pauvres qui mendient plutôt que de s’atteler à la tâche. Au-delà des nécessités économiques, cette morale civique doit organiser la vie en société. En ce sens, le travail sert de principe au contrat qui lie le citoyen à la société au sein de laquelle il vit. La paresse n’est plus un péché, une tentation ou une faiblesse, mais un manque ou un abus de citoyenneté, pour ainsi dire un crime ou un délit. Auquel cas, le paresseux est un délinquant. (p118)
Pour Meslier [Jean, curé, (1664-1729)], les hommes sont naturellement égaux, et le travail devrait s’imposer indifféremment à chaque citoyen. Ainsi les oisifs sont-ils des traîtres au principe de l’universalité. Tant que la société ne mettra pas un terme à cet état de fait, elle ne connaîtra pas la paix. Sous sa plume, la paresse n’est pas un simple problème de morale individuelle mais une question de justice, et donc éventuellement de guerre (civile, il s’entend) et de paix. Nouveauté : à l’opposition entre riches (dispensés de travail) et pauvres (contraints de travailler), ce curé substitue l’opposition entre oppresseurs et opprimés. (p120)
L’article Travail [de l’Encyclopédie, paru de 1751 à 1772, de Diderot et de d’Alembert] signale quà son occupation journalière l’homme « doit en même temps sa santé, sa subsistance, sa sérénité, son bon sens et sa vertu peut-être ». En complément, l’article Oisiveté comporte une réflexion médicale signée du Chevalier de Jaucourt, docteur en médecine : « C’est la source de bien des maladies, car outre qu’elle épaissit les humeurs, & relâche les solides, elle énerve le corps & accélère la vieillesse. » L’oisiveté deviendrait la cause d’une série de troubles comme la goutte, la pierre, le scorbut, la mélancolie, la manie. En un mot, le travail, c’est la santé, et la paresse la cause de la dégénération du corps social. (p120-122)
Des médecins appelés « orthopédistes » au XVIIIe siècle vont être les premiers à combattre les préjugés qui pesaient jusque-là sur les soins de la petite enfance. Pour ménager sa fragilité, les nourrices et les mères de famille se bornaient à emmailloter et à contenir le nourrisson. Désormais, l’éducation physique et l’exercice vont servir de maître mots pour éveiller les sens et activer les mouvements du corps. […]. En un mot, l’enfant paresseux est un être qui n’a pas été éveillé et dont les fonctions vitales n’ont pas été stimulées. (p122)
Les idées sur la nature et le sauvage ont fait de la paresse un enjeu moral, politique et médical. De ce qui n’était qu’un péché ou une faute ont surgi les débats susceptibles d’ébranler l’ordre social établi, de renverser un régime politique plusieurs fois centenaire, de révolutionner l’éducation et la médecine. Alors que la valeur travail se révèle fondamental pour le développement économique de la société et la création de richesses, la condamnation de la paresse sert de leitmotiv à une propagande politique qui mettra le feu aux poudres de la Révolution. (p123)
CH7 – Lascivité orientale (p125)
Avec le goût pour les ruines, sommeil, volupté, engourdissement et mort sont les images préférées de l’orientalisme. Plus tard, le romancier et poète Hermann Hesse dépeint dans L’art de l’oisiveté (1904), son émerveillement pour ces peuples qui « disposent d’une quantité immense de temps, comme s’ils puisaient à une source sans fond ». L’Orient porte en soi une inépuisable indolence. Bien après que le démon de midi a saisi le moine soumis à la tentation du péché, s’avance le spleen de l’ennui, perfide ennemi du désir. (p132)
Cette esthétique de la paresse rompt avec le péché d’acédie dont souffrait le moine ou avec l’oisiveté coupable qui frappait le mendiant, ou encore telle noblesse que condamnait sa fainéantise, plus récemment enfin avec cette exigence de civisme qui évinçait de la nation le citoyen désœuvré. Comme un philtre charmeur, la langueur orientale synthétise la douceur des caresses, le sortilège des parfums capiteux, les séductions lascives des femmes esclaves. Et si elle a pu devenir au XIXe siècle une valeur sensible, un rêve d’ailleurs, elle suscite également la mélancolie et exacerbe le sentiment des vanités. Eros et Thanatos se partagent ces imaginaires de l’Orient où la loi du travail est inconnue. Cette paresse devenue spleen mêle ennui et oisiveté. (p134)
[… Alfred de Vigny (1797-1863) : ] « Il a besoin de ne rien faire, pour faire quelque chose de son art. » Aussi lui faut-il ne rien entreprendre « d’utile » et de journalier « pour avoir le temps d’écouter les accords qui se forment lentement dans son âme ». Alors que sa paresse résiste à toute sollicitation venue du monde qui l’entoure, le poète se rend attentif à ce qui parle en lui. Tout à son rêve intérieur, il devient ainsi un être à part, hors de l’ordinaire, génie ténébreux, inapte au quotidien, que le monde trivial harcèle et qui a besoin de solitude. (p135)
L’acédie était une noirceur du cœur, une grisaille de l’âme ; plus tard l’oisiveté ténébreuse, cause de pauvreté, s’était assombrie dans l’horizon obscur de la misère. Au XVIIIe siècle, l’absence morose d’activité et l’imprévoyance aveugle avaient exclu le paresseux de la cité et l’avaient privé des lumières de la Liberté. Bref, jusqu’ici toute paresse n’était qu’austère grisaille, triste obscurité, noires ténèbres, sombre ignorance. Les romantiques qui l’incendient de couleurs peignent la flamboyance de la mélancolie et de la paresse, et font vibrer les corps des flammes de la passion. (p137)
L’Orient des peintres et des poètes est empreint d’un rêve d’agonie, antithétique de l’Occident industrieux, dont le véritable ami est l’accélération du temps, et son corollaire, la hantise de perdre un instant à force d’inoccupation ou de lenteur. […]. L’Orient a accueilli le rêve de ceux qui, pour se préserver d’une telle violence, s’abandonnent à la léthargie. La cause de celle-ci n’est pas la fatigue, mais le désir de fermer les yeux devant la course des choses et d’ignorer le ravage du temps, voire les méfaits de l’empressement. (p140)
L’acedia était un combat de la foi contre les tentations. Il s’agit à présent de conjurer la précipitation dans laquelle se jette la civilisation industrielle. Il s’agit aussi d’échapper à l’angoisse qu’engendre l’accélération du cours de l’existence alors que la vraie vie est ailleurs. De détestable, d’antisociale, de déviante qu’elle avait été, la paresse évoque de plus en plus le rêve d’un temps détourné. Non pas destiné à la prière ou à la vénération, mais à la découverte d’un temps perdu, et dont l’Orient portrait la mémoire. La voie qui y mène est une plongée en soi, une introspection qui se détourne d’une civilisation qualifiée de superficielle. (p142)
La paresse des romantiques et de leurs disciples reflète une crise de civilisation : elle oppose l’Occident et son actualité nourrie par la Révolution, à l’Orient pétrifié dans un passé légendaire et ancré dans les spectres de la mémoire. Cette crise est teintée de passions contradictoires : l’indolence voluptueuse, cruelle et mélancolique, opposée à l’ardeur et à la vigueur de la liberté entreprenante. Au cœur de tout cela : le scpectre de la mort et de l’ennui, le spleen. Claustré dans un rêve intérieur, le paresseux peut aussi passer pour un esprit à part, génie malheureux, que harcèle le monde ordinaire. (p145)
CH8 – Donner du sens à la paresse (p147)
Ce personnage d’une fiction des temps modernes [Bartleby] n’incarnerait-il pas le héros silencieux qui porte la souffrance de tous ceux et toutes celles que la société a mis au rebut, une figure de la résistance passive ? Telle semble bien en être la clef. Bartleby n’est pas un paresseux, il fait de la paresse un témoignage. Si son mode de vie faisait d’Oblomov une victime, Bartleby se veut le défenseur de ceux qui sont dominés et qu’on méprise au point de les mettre à l’écart, une fois hors d’usage. Pour racheter un monde rendu cruel par son exploitation des individus, il a chois le martyre, au nom des valeurs de l’humain. (p153)
Dans Aurores […] Friedrich Nietzsche (1844-1900) s’attaque à cette question des valeurs. Il critique « les apologistes du travail », tous ceux qui le « glorifient » et le « bénissent ». Il fustige les « races laborieuses », exerçant sa verve contre les Américains […]. Foin de la réflexion, de la méditation et de la rêverie, le travail qui ponctionne toutes les forces créatrices donne le coup de grâce « à toute culture supérieure, à toute suprématie du goût ». A travers cette critique radicale d’une civilisation qui préfère le profit à la réflexion, valorise la vitesse au détriment de la vie, et l’argent aux dépens du temps pour soi, Nietzsche condamne l’activisme du travail, car il aliène l’individu et le prive de son indépendance. Dans le système productiviste, le travail ne produit que de la fatigue, et nul ne possède plus sa vie, ne domine plus son existence. Un emploi ressemble à une sorte de police qui « tient chacun en bride » et entrave l’exercice de ses désirs. Quel qu’il soit, un emploi enterre la spontanéité, la liberté, la capacité de donner forme à sa propre existence. (p153-154)
Somme toute, la paresse du moine, son refus de prier, l’enfonçait dans un lourd sommeil, l’opposition de Nietzsche aux impératifs collectifs est un envol, un état d’apesanteur, une respiration aérienne du corps et de l’esprit. (p154)
[selon Jerome K. Jerome, 1886] Jouir de la paresse n’advient pas quand on ne subit aucune contrainte. […]. En somme, pour être savoureuse, la paresse, comme un baiser, doit être volée. […]. Telle est l’absurdité de la condition de l’homme qui n’aspire à ne rien faire que lorsqu’il est condamné à travailler. (p155)
Différent est le sort des personnages qu’imagine le poète et dramaturge irlandais Samuel Beckett (1906-1989). Tous sont ballottés dans un vide existentiel, une sorte de paresse de vivre. Alors que les gens ordinaires se définissent par ce qu’ils font – activités, professions, engagements, etc. – ses personnages sont inactifs. Ils ne font rien dans la vie, c’est à peine s’ils se traînent dans l’existence : leur paresse esquisse le degré zéro du non-agir. (p155)
L’apathie des personnages de Beckett, leur « torpeur », ne vient pas de leur impossibilité à transcender leur condition. Ils ont juste ce qu’il faut pour une échappée statique. Comme beaucoup de ses contemporains, l’auteur a plongé dans le courant nihiliste qui s’est répandu sur son époque, après la prophétie nietzschéenne : l’effondrement de l’idée que Dieu existe, la désespérance créée par son absence, l’intuition que l’existence a perdu sens. Ces « épaves » métaphysiques révèlent l’indifférence d’exister. (p157)
A la fin du XIXe siècle, la psychiatrie a mis au jour une symptomatologie caractérisée par la lassitude et l’anxiété. […]. Le tableau clinique [de la Neurastenia, or nervous exhaustion, par George Beard en 1869] décrit les symptômes d’une fatigue physique d’origine nerveuse : la neurasténie, parfois appelée maladie de Beard. Des troubles accompagnent cette lassitude intense : céphalées, hypersensibilité aux stimulations excessives, anxiété, etc. (p157)
Au-delà de la polémique qui oppose psychiatres, neuropsychiatres et autres spécialistes, la neurasthénie se différencie de al paresse. Au point de vue de l’Église, de l’État ou des moralistes s’est substitué le diagnostic du médecin. (p158-159)
[… Freud (1856-1939) ] n’en maintient pas moins la neurasthénie comme une névrose, caractérisée par des symptômes de fatigue physique chronique, céphalées, dyspepsie, appauvrissement de l’activité sexuelle, etc. La dimension analytique développée par les psychanalystes donne une diversité et une complexité inédites à un malaise ou une forme de mauvaise volonté, qui auparavant étaient réprouvés comme étant globalement – voire banalement – de la paresse. Sur le mode de la dérision, il est vrai celle-ci était parfois trivialement désignée sous le vocable de « flemmingite aiguë ». (p160)
Dans la littérature russe du milieu du XIXe siècle, la paresse est l’apanage d’Oblomov. Son art de ne rien faire illustre la résignation d’un homme dont le ressort intérieur est brisé. C’est une révolte silencieuse contre une civilisation détestable. Bartleby, autre héros d’une forme étrange de paresse, le « j’aimerais mieux ne pas », s’en fait le martyr et à ce titre choisit sa destinée. La crise des valeurs que décrit Nietzsche ouvre la réflexion sur les paradoxes d’une civilisation qui nuit à l’individu et le détruit au nom du progrès et de la société. Sa critique philosophique fraie la voie à la mise en scène de l’absurde où s’engouffreront les personnages de Samuel Beckett. Lorsque les psychiatres dressent le tableau clinique de la neurasthénie, les représentations de la paresse se déplacent et se fondent dès lors sur le diagnostic médical, que vont sonder neurologues et psychiatres. (p160)
CH9 – Place aux luttes sociales (p163)
Tout au long du XIXe siècle, des polémistes se sont élevés sur le front social et politique. Médecins et hygiénistes, patrons et entrepreneurs, éducateurs et magistrats, visiteurs des pauvres et membres du clergé s’inquiètent de l’atonie des enfants en famille ou à l’école, de la mollesse des jeunes au collège ou à l’internat. Ils incriminent aussi la fainéantise des ouvriers à la fabrique ou à la mine et l’indolence des domestiques à la maison. La nonchalance des Noirs dans les colonies ou la négligence des immigrés dans les cités ouvrières relèvent des mêmes réprobations. Une maladie de la civilisation et du progrès est diagnostiquée, aussi redoutable qu’une épidémie. (p164)
On s’ingénie à lutter contre la paresse. Le branle-bas de combat a d’abord sonné contre une forme sournoise d’oisiveté qui se répand parmi les jeunes, enfants au lit, écoliers en classe ou collégiens en internat. Redoutée des médecins et surveillée par les pédagogues, elle inquiète les familles, alarme le clergé et alerte les directeurs de collège. Ce penchant, que l’enfant tente de dissimuler en s’isolant, est censé engendrer une habitude abominable, déclarée funeste par les médecins : la masturbation, désignée sous le nom d’« onanisme ». (p165)
Le couple paresse et luxure semble inséparable. (p167)
Car le paresseux n’est pas seulement un « tire-au-flanc » qui ne fait rien ou pas grand-chose, mais celui dont le vice a envahi toute la personnalité. En un mot, ce bon à rien se conduit mal et les exercices scolaires vont l’occuper et le corriger. Pour combattre ses penchants, il faut garnir son emploi du temps journalier, hebdomadaire, mensuel ou annuel. La régularité et le contrôle permanent de son application supprimeront tout interstice par om glisseraient la paresse et sa cohorte de vices. Afin de les combattre, une sorte d’activisme s’est imposée qui sert désormais de principe d’éducation. (p169)
[…] les mesures pour lutter contre la paresse ont éveillé le souci du corps. (p170)
Un travail, un métier ou u n titre professionnel sont devenus aussi important que l’âge, le sexe ou la situation de famille. Ils deviennent même déterminants dans la bourgeoisie pour estimer une demande en mariage. L’emploi est bien plus qu’une source de revenu : il sert d’étalon à la valeur personnelle. L’homme ou la femme sous-employés ou sans emploi se sentent improductifs, et donc dénués de valeur. A une époque où le travail est devenu un critère majeur d’insertion sociale, celui qui n’a pas de travail devient un inconnu. Sans statut défini, il reste non identifiable. Bientôt les gouvernements et l’ensemble du corps social vont considérer l’absence de situation professionnelle, comme un fléau qui ronge la société et précipite les individus dans la délinquance et l’exclusion. (p173)
La mise au travail de la population ne s’arrête pas aux frontières nationales. Les doctrines des nations colonisatrices affublent les peuples qu’elles dominent du stigmate de la paresse. Les arracher à leur torpeur et leur enseigner l’économie et le progrès, c’est stimuler leur activité de production et leur inculquer la morale du travail : le colon entreprenant s’oppose ainsi au colonisé paresseux. […]. Sortir de la paresse, c’est entrer au service d’un patron, qui vous recrute pour un emploi et vous gouverne moyennant un salaire. (p174-175)
En un mot, l’éducation « d’une race » se fait par la prédication évangélique et l’apprentissage d’un métier. Afin de ne pas « compromettre la moisson à venir », le principe en est simple : semer la vérité et déraciner les mœurs anciennes en favorisant les conditions d’une vie régulière. Pour arracher ces peuples à leur oisiveté, il faut leur apprendre à travailler, les évangéliser dans la foi chrétienne, les initier à la valeur de l’argent et les familiariser au salariat. On suppose le paresseux insensible à ces valeurs que sont l’établissement d’un logement pour sa famille, la morale du travail, la pratique religieuse, le commerce de la monnaie et un emploi. (p175)
Au paroxysme de cette humiliation des peuples, les camps de travail des régimes totalitaires au XXe siècle ont incarcéré ceux et celles que le travail, comme le déclaraient leurs idéologues de l’époque, n’avaient pas éduqués. Juifs, Tsiganes et autres « parasites » allaient être humanisés selon la devise : « Arbeit macht frei » […]. Pour légitimer la colonisation et la dictature, qu’elles soient physiquement brutales ou moralement violentes, l’accusation de paresse sert à stigmatiser l’ensemble d’un peuple ou d’un groupe social. Ces figures ont un envers dans la caricature subversive : le gros colon, le bourgeois corpulent […], l’énorme capitaliste […], ne sont-ils pas des paresseux qui s’engraissent sur le travail de ceux qu’ils dominent ? (p176)
En 1880, Le droit à la paresse ou La Réfutation du droit au travail […] exhorte le prolétariat à fouler aux pieds le dogme malsain du productivisme. Il l’avise « que la parole qu’on lui a inoculée est perverse », et déclare que le travail effréné auquel il s’est livré depuis un siècle « est le plus terrible fléau qui ait jamais frappé l’humanité ». Contre l’idéologie bourgeoise, il veut que soient proclamés « les Droits de la paresse, mille et mille fois plus nobles et plus sacrés que les phtisiques Droits de l’homme ». […]. Si la paresse était jusque-là un refus individuel, voilà qu’elle devient la force révolutionnaire de tous les condamnés au travail forcé. (p177)
Cependant, les classes privilégiées cultivent le préjugé qu’une absence d’activité précipiterait les classes pauvres dans le désœuvrement et la dépravation. D’où cette invocation de Paul Lafargue : « Ô Paresse, prend pitié de notre longue misère ! Ô Paresse, mère des arts et des nobles vertus, ois le baume des angoisses humaines ! » Non plus mère de tous les vices, mais mère de la mobilisation générale, la paresse peut sauver le peuple de son aliénation et de sa misère, devenir le génie salvateur, en un mot la Marianne de la Révolution prolétarienne. Comprenons bien le but de Lafargue. Son objectif n’est pas de mettre au travail « ceux qui sont assurés d’un capital », mais de démocratiser la paresse, et de faire en sorte qu’elle ne reste pas le privilège de ceux qui ne travaillent pas. (p180)
Le loisir doit devenir une revendication prolétarienne. Le partage de ce privilège s’accomplira, une fois que les exploiteurs seront réduits à céder, faute de pouvoir continuer à s’enrichir. (p180)
[Lafargue] s’oppose à ce que le « temps libre » soit réduit à une récupération des forces au service des intérêts des patrons car ce temps qui ne leur coûte rien, est simplement destiné à se préparer au travail, à rentrer à l’usine, à se remettre de sa fatigue. Mais on ne se laisse pas aller à la paresse : elle s’acquiert à force d’insubordinations répétées. Chaque moment de repos arraché à l’ennemi est une conquête, si fragile soit-elle. (p182)
[éloge de la paresse affinée, Raoul Vaneigem, 1996] (p182)
Il faut se retenir d’agir pour vivre dans la paresse. Il faut avoir abjuré tout sens moral, et surtout avoir renoncé au sens de la rentabilité pour « s’y installer sans vergogne ». Même le chômeur, tout compte fait, n’est pas affranchi du travail ; il continue de lui appartenir, « comme la douleur d’un membre fantôme ». La paresse se mérite, c’est une faculté presque impossible à acquérir pour ceux dont le temps a toujours été calculé. (p183)
[Moustaki, chanson « le droit à la paresse » 1974 : ] « Il parlait de ne plus jamais plier l’échine / Ni de se prosterner devant une machine / Il souhaitait pour les générations futures / De ne souffrir jamais d’aucune courbature. » (p183)
[Adams Scott, Le principe de Dilbert, 1997 : ] ne jamais sortir de son bureau, sans un doissier sous le bras : « Les employés qui ont les bras chargés de dossiers ont l’air de se rendre à d’importantes réunions ». […]. Il est recommandé aussi « d’emporter de nombreux dossiers à la maison le soir », pour donner l’illusion de faire des heures supplémentaires. (p184)
[Bob Black (Robert Charles), Abolition du travail et autres essais, 1986 : ] se mettre au repos dès que le patron a le dos tourné, saboter les cadences et les machines, pratiquer l’art de l’absence justifiée. La paresse prête à la subversion un caractère roboratif : voilà la ruse. (p184)
[Bertrand Russel, Éloge de l’oisiveté, 1932 : ] Si le travail était partagé, les besoins de l’humanité entière seraient assurés, et tout le monde vivrait dans un confort satisfaisant. Le reste du temps serait consacré au loisir. […]. « En travaillant quatre heures par jour, un homme devrait avoir droit aux choses qui sont essentielles. » (p184)
[Robert Louis Stevenson, Apologie des oisifs, 1877 : ] l’oisiveté consiste « à faire beaucoup qui échappent aux dogmes de la classe dominante » et qui ont plus de valeur que le travail salarié. Il comparait la paresse à la gourmandise : « la faculté d’être oisif est la marque d’un large appétit. » (p185)
En résumé, la paresse a déclenché au XIXe siècle des mécanismes de contrôle dans plusieurs secteurs de la vie publique : l’éducation, la production, la colonisation. Ainsi de nouveau délits ont vu le jour et leurs auteurs ont été condamnés. Mais des résistances à cette police des mœurs ont surgi, qui engageaient les populations exploitées à manifester leur opposition et à se libérer du joug du travail. Récemment enfin est née une forme sanctifiée de paresse et d’oisiveté qui a pris le beau nom de loisir. (p185)
CH10 – Les loisirs ont-ils tué l’oisiveté ? (p187)
Avec le roman naturaliste, la peinture impressionniste a illustré en son temps le goût pour les dimanches à la campagne, les après-midi au bord de l’eau, la détente dans un jardin ombragé, les réjouissances sur le pré ou au boudoir. Tout un art de l’insouciance et de la nonchalance mis en scène pour s’évader de la routine des jours et des heures. (p194)
Alors que la durée du travail se réduit en France et dans l’ensemble des pays industrialisés, les loisirs vont glorifier les désirs du repos, de la tranquillité, du silence, de l’évasion, de l’aventure. Successivement, au prix de nombreux combats politiques, le week-end chômé, les congés payés, les cinqu semaines de repos annuels, la réduction du temps de travail (RTT) ont façonné les loisirs, voire transformé les mœurs. Récemment, l’allongement des périodes de congé et la réduction à 35 heures de la semaine de travail ont ranimé dans le débat public la question de la « paresse » des salariés. (p195-196)
Cependant, la nouvelle charpente temporelle, qui a isolé le loisir du travail, a avivé une véritable peur du vide, déclenché l’angoisse d’un temps sans projet, et qui génère des « heures à tuer ». Existerait-il une faille dans cette histoire des loisirs ? (p196)
L’école valorise par ailleurs des activités qui disciplinent le lisir. Les sports inculquent en effet l’assiduité ponctuelle aux entraînements et aux compétitions. Son exploitation s’impose comme une nécessité pédagogique, avec ses contraintes, ses rythmes, ses a priori. Voilà le loisir à l’image du temps de l’étude et du travail, éventuelle illustration de cette formule de Bob Black : « Les loisirs ne produisent que du non-travail au nom du travail ». (p196)
Quoi qu’il en soit, les représentations de la paresse se métamorphosent : au-delà de l’oisiveté ou de l’inactivité, elle désigne le désordre, l’anarchie, l’incapacité à maîtriser le temps libre. (p197)
La banalisation et les contraintes des vacances ont développé une pédagogie de l’occupation du temps, au point que des talents inexploités passent pour du gâchis ou de la carence. Du haut en bas de l’échelle sociale, ne pas avoir de loisirs (de hobbies) ou ne pas en faire bon usage sont unanimement critiqués. Il n’est pas non plus bien vu de prendre son temps, il est déconseillé d’en perdre, tant il est impératif qu’il soit bien rempli et opportunément exploité. Tout se passe comme si la peur de manquer d’activité imposait calendriers et agenda, rationalité et planification. (p197)
Le souci de faire accéder l’ensemble de la population aux loisirs, le développement de la culture de masse, la lutte contre les inégalités ont contribué à alimenter et à perpétuer un culte de l’activité devenu activisme. […]. Ce qui revient à définir la paresse comme un contre-emploi du loisir, nuisible à la construction de soi. (p198)
Les plaidoiries en faveur de la journée dominicale s’en prennent au lundi chômé, lorsque l’ouvrier part retrouver ses camarades au cabaret, où les bavardages et les hâbleries vont toujours bon train. Car chômer le lundi constitue une habitude solidement ancrée chez les ouvriers qui préfèrent abandonner le dimanche aux bourgeois et aux bigots, et honorer la « Saint-Lundi ». Livrés à eux-mêmes, les prolétaires sont finalement soupçonnés de s’adonner spontanément à des loisirs abrutissants et avilissants. Leur oisiveté se déchaînerait dès qu’ils échappent à l’autorité d’un patron ou d’un prédicateur. (p199) [ voir https://journals.openedition.org/rh19/704, Apogée et déclin de la Saint Lundi dans la France du XIXe siècle, Robert Beck, Revue d’histoire du XIXe siècle]
Afin d’éviter le désœuvrement et la débauche, un loisir utile s’impose pour canaliser les temps laissés libres par le travail. Les fondateurs des jardins ouvriers se sont employés à occuper cet entre-deux. (p200)
Leur principe [aux jardins familiaux] : planter des poireaux et semer des carottes pour déraciner la mauvaise herbe de la paresse. Ce souci de créer des loisirs sains est largement partagé par les syndicats et les partis ouvriers. […]. Désœuvrement et mauvaise fréquentations sont les deux mamelles de la paresse et de ses débordements. (p201)
Le roman-feuilleton serait aux femmes ce que sont aux hommes le cabaret et l’alcoolisme. Elle se jetteraient, dit-on, sur les mauvaises lectures qui seraient un poison pire que l’alcool. (p202)
A noter enfin que les loisirs des ouvriers leur ont longtemps valu l’hostilité de la paysannerie, qu’alimente le sentiment de « payer » pour les « fainéants » des villes. Les vacances suscitent l’incompréhension dans les campagnes où perce le mépris pour une population urbaine qui ne sait pas comment tuer le temps au village. Aux yeux des ruraux, la conquête de ce nouveau temps de vivre, qui va à l’encontre de leurs valeurs traditionnelles, n’est que de la paresse. Leur représentation de la ville et des citadins s’applique à tous ceux qui ne cultivent pas la terre. (p202)
Après le Deuxième Guerre mondiale, le courant de contre-culture venu des États-Unis, et arrivé en France dans les années soixante, va séduire et embraser la jeunesse. Alors que la consommation des ménages avait décollé en flèche la décennie précédente, nul n’imagine d’autre rapport au monde que celui de produire et de consommer. Les « hippies », comme ils s’appellent, dénoncent ces deux grandes ferveurs de la société industrielle, ces deux faces d’un même impératif. Ils se veulent les contestataires du rythme « métro, boulot, dodo » qui a mobilisé leurs parents et embrigadé leurs aînés… à moins qu’ils n’appliquent la devise de Boris Vian : « Le travail est l’opium du peuple et je ne veux pas mourir drogué. » (p202-203)
Face au succès sans précédent des loisirs actifs (sports, tourisme, bricolage, etc.), la langueur est devenue l’allégorie contemporaine de la paresse. Elle conjugue indifférence, apathie, passivité, désenchantement. Le sommeil est fréquemment choisi pour l’illustrer. Rien à voir cependant avec les petites siestes crapuleuses des paysages impressionnistes du siècle dernier. Au XXIe siècle dominent les sommeils de la résignation, les somnolences de la capitulation et les anesthésies du désenchantement. (p205)
Les loisirs contemporains ont fourni à l’oisiveté et au temps hors-travail des conte nus qui ont activé leurs ayants-droits. Mais les loisirs ont aussi généré de nouvelles expressions de la paresse, sous la forme de la résistance ou de la contestation des normes de la vie sociale. De la critique des loisirs organisés, au refus de produire et de consommer, c’est bien le rejet d’une temporalité active qui marque ses expressions contemporaines. Ce qu’on pourrait appeler des prescriptions, des impératifs et des cadences de la société de loisirs. Mais aussi les désespérances de ses exclus et les addictions de ses forcenés. Les voilà piégés, voire aliénés, au lieu d’être libérés et disponibles. (p207)
CH11 – Conclusion (p209)
Mais l’appel à la paresse peut aussi ragaillardir les révolutions. Leurs partisans trouveront dans le refus de travailler la force de conquérir la liberté et d’acquérir la dignité. Utopie d’un côté, appel à la résistance de l’autre, la paresse conquiert alors sa valeur positive, celle dont les censeurs et les exploiteurs l’avaient spoliée, soucieux de ne faire d’elle qu’un vice, un défaut ou une stratégie du moindre effort. Cette mobilisation du refus de travailler devient un affrontement entre des individus et les normes imposées par la société, les structures sociales, le patronat, l’Église, le pouvoir politique ou économique, etc. C’est un refus d’obéir, une revendication de liberté, une aspiration à se réaliser, une dénonciation des valeurs qui oppriment ceux qui vivent dans l’enfer de la subordination. La paresse devient alors une voie de salut, la mère de toutes les vertus. (p213)