" Pour mortels et dangereux qu'ils soient, les bidonvilles ont devant eux un avenir resplendissant. " Des taudis de Lima aux collines d'ordures de Manille, des bidonvilles marécageux de Lagos à la Vieille Ville de Pékin, on assiste à l'extension exponentielle des mégalopoles du tiers monde, produits d'un exode rural mal maîtrisé. Le big bang de la pauvreté des années 1970 et 1980 – dopé par les thérapies de choc imposées par le FMI et la Banque mondiale – a ainsi transformé les bidonvilles traditionnels en " mégabidonvilles " tentaculaires, où domine le travail informel, " musée vivant de l'exploitation humaine ".
Un milliard de personnes survivent dans les bidonvilles du monde, lieux de reproduction de la misère, à laquelle les gouvernements n'apportent aucune réponse adaptée. Désormais, les habitants mettent en péril leur vie dans des zones dangereuses, instables ou polluées. Parallèlement, la machine impitoyable de la rénovation urbaine condamne des millions d'habitants pauvres au désespoir des sombres espaces périurbains. Bien loin des villes de lumière imaginées par les urbanistes, le monde urbain du XXIe siècle ressemblera de plus en plus à celui du XIXe, avec ses quartiers sordides dépeints par Dickens, Zola ou Gorki. Le pire des mondes possibles explore cette réalité urbaine méconnue et explosive, laissant entrevoir, à l'échelle planétaire, un avenir cauchemardesque.
<4e de couverture Mike Davis - Le pire des mondes possibles : De l'explosion urbaine au bidonville global (254 pages)>
Chapitre 3. La trahison de l’État (pages 53-73)
« Si le capitalisme sauvage offre un visage largement inacceptable, un État corrompu agissant pour le compte des riches est une chose encore pire. Dans ces circonstances, les efforts pour améliorer la situation sont presque toujours vains ».
Alan Gilbert et Peter Ward [1]
« Il est tout à fait étonnant de constater, se plaignaient récemment J. deux géographes, qu'aucun auteur n'ait produit de synthèse sur la géographie changeante des implantations des pauvres dans aucune ville du tiers monde durant toute la période d'après guerre [2]». Et, bien sûr, personne n'a non plus tenté de proposer une synthèse historique moderne sur la structure globale des zones de logement informel. Si la multiplicité des histoires nationales et des particularités urbaines locales lait effectivement d’un tel projet une entreprise titanesque, il est cependant possible de proposer une périodisation grossière qui mette en lumière les tendances et moments des principaux de l’urbanisation de la pauvreté mondiale.
Mais avant d'aborder les raisons de la croissance si rapide des villes du tiers monde et de leurs bidonvilles au cours de la seconde moitié du XXe siècle, il faut d'abord comprendre pourquoi elles ont connu une croissance aussi lente au cours de la première moitié de ce siècle. Même s'il existe quelques exceptions, la plupart des mégavilles du Sud ont eu une trajectoire commune : un rythme de croissance relativement lent, voire retardé, suivi d'un passage brutal à un rythme de croissance rapide dans les années 1950 et 1960, avec l’afflux croissant de migrants ruraux dans les bidonvilles périphériques. Au début du XXe siècle, le transfert massif de la pauvreté rurale vers les villes était rendu impossible par l’équivalent économique et politique de l’ancien mur d'enceinte : de vastes pans de la population agraire se voyaient refuser non seulement l’entrée dans la ville, mais encore, et c'est plus important, l’accès à une citoyenneté urbaine pleine et entière.
Empêcher les paysans d'entrer
L'une des barrières principales fut, bien sûr, le colonialisme européen qui, dans sa forme la plus extrême des villes coloniales britanniques d'Afrique de l’Est et du Sud, refusait aux populations indigènes le droit de posséder des terrains urbains et de résider en ville de façon permanente. Partisans assidus de l’idéologie du « diviser pour mieux régner », les Britanniques craignaient que la vie urbaine ne « détribalise » les Africains et ne produise ainsi un terreau fertile au développement des solidarités anticoloniales [3]. La migration urbaine était contrôlée par des lois strictes, et les ordonnances sur le vagabondage criminalisaient le travail informel. Ainsi, jusqu'en 1954, les Africains n'étaient considérés que comme des résidents temporaires de Nairobi, aux quartiers racialement définis, où ils ne pouvaient pas détenir de propriété louée à bail [4]. De même, selon Karin Nuru, les Africains de Dar-es-Salam « étaient seulement tolérés en tant que main-d’œuvre temporaire et devaient ensuite retourner à la campagne [5]». En Rhodésie (Zimbabwé), les Africains durent attendre la veille de l’indépendance pour obtenir le droit d'être propriétaires de logements urbains, tandis qu'à Lusaka — décrite comme « une ville extrêmement ordonnée, segmentée selon des critères de race, de classe et de sexe » —, les résidents africains étaient considérés comme des « urbains plus ou moins temporaires dont l’unique raison d'être en [55] ville était de travailler comme domestiques pour les fonctionnaires de l’administration [6] ».
L'apartheid poussa bien sûr ce système à son paroxysme cauchemardesque. S'appuyant sur un solide fond de racisme colonial, la législation de l’Afrique du Sud d'après guerre ne se contenta pas de criminaliser la migration urbaine, mais fournit en outre tous les outils nécessaires au déracinement, sans égal par sa brutalité, des communautés noires des centres-ville historiques. Près d'un million de Noirs furent expulsés de quartiers soi-disant « blancs », en conséquence de quoi le taux d'urbanisation ne progressa que très lentement entre 1950 (43 %) et 1990 (48 %) ; les années 1960 affichant même un solde net d'immigration urbaine des Noirs négatif [7]. Cet idéal de « villes blanches, pays noirs » a cependant fini par se heurter aux besoins de main-d'œuvre des grandes capitales, et à la résistance héroïque de ses victimes.
Dans le sous-continent indien, les Britanniques appliquaient également une politique de ségrégation et de contrôle policier, des flux de migration urbaine. Dans sa brillante étude sur les villes de l’Uttar Pradesh dans I'entre-deux-guenes, Nandini Gooptu retrace la chronique des efforts inlassables des fonctionnaires coloniaux et des élites indigènes récemment affranchies pour repousser les pauvres le plus loin possible des limites de la ville. Les toutes nouvelles Fondations pour l’amélioration des villes (Town Improvement Trusts) se montrèrent notamment très efficaces dans l’éradication des bidonvilles et des soi-disant « quartiers empestés » des interstices des zones résidentielles et commerciales de plus haut standing, et dans la préservation du zonage autour des quartiers occupés par les colons et la classe moyenne indigène. En même temps, des lois « anti-usurpation » appliquées avec force interdirent aussi bien le squattage que la vente à la sauvette [8]. À la même période, la croissance économique urbaine sous l’Empire britannique d'avant guerre était, au mieux, irrégulière : même Bombay, avec ses élites entrepreneuriales et ses usines textiles tant vantées, ne croissait que lentement, et ne doubla même pas sa population au cours du demi-siècle allant de 1891 à 1941.
Nonobstant leur aversion pour les grandes implantations d'indigènes en ville, les Britanniques furent sans doute les plus grands bâtisseurs de bidonvilles de tous les temps. En Afrique, leur politique força la main-d'œuvre locale à vivre dans des bidonvilles précaires à la périphérie de villes racialement divisées et à accès restreint. En Inde, en Birmanie et à Ceylan (Sri Lanka), leur refus d'améliorer les conditions sanitaires et de fournir aux quartiers indigènes ne serait-ce que les infrastructures les plus basiques amena les populations indigènes à payer un ahurissant tribut en vies humaines aux grandes épidémies du début du XXe siècle (peste, choléra, grippe), et généra d'immenses problèmes d'insalubrité urbaine dont les élites nationales ont hérité après l’indépendance.
Les autres empires s'efforcèrent eux aussi, avec plus ou moins de succès, de limiter et de réguler l’exode rural. À quelques rares exceptions près, les ports et plaques tournantes coloniaux ne disposaient que d'une très faible valeur ajoutée de production ou de traitement susceptible de créer aussi bien des emplois formels que de la croissance urbaine. La main-d'œuvre indigène était partout confinée dans des bidonvilles. La recherche historique récente a montré que, dans les villes congolaises, l’état colonial « maintenait un système de contrôle des influx urbains et une régulation législative des marges urbaines relativement efficaces, qui étouffaient dans l’œuf aussi bien le petit commerce hors des canaux légaux que la construction “anarchique” de bâtiments d'habitation » [9].
L'historien Jean Suret-Canale nous rappelle dans le même temps qu'en Afrique tropicale les Français contrôlaient strictement les mouvements de la main-d'œuvre rurale tout en confinant les urbains africains dans les périphéries sordides. Dans les bidonvilles coloniaux comme ceux de Médine (Dakar), Treichville (Abidjan) ou Poto-Poto (Brazzaville), « les rues [...] ne sont que des venelles de sable ou de boue ; la voirie est absente (en lieu d'égouts, quelques canalisations à ciel ouvert ou sommairement recouvertes de dalles) ; pas ou peu d’eau, sinon quelques fontaines publiques où les files d'attente s'allongent dès les premières heures du jour ; point d'éclairage public, celui-ci étant réservé aux quartiers européens. L'entassement de la population crée des conditions d'hygiène déplorables [10]». De fait, ce refus quasiment universel de fournir aux « quartiers indigènes » ne serait-ce que les infrastructures sanitaires de base jusque dans les armées 1950 traduisait plus que de la simple avarice : il scellait symboliquement l’absence de tout « droit de cité » pour les indigènes.
Mais le colonialisme européen n'était pas la seule instance internationale de contrôle de la croissance urbaine. Bien qu'arrivé au pouvoir grâce aux révoltes paysannes, le stalinisme asiatique s'efforça lui aussi de juguler l’afflux vers les villes. Au départ, la révolution chinoise de 1949 ouvrit les portes des villes aux réfugiés qui rentraient chez eux et aux anciens soldats paysans en quête de travail. Cette politique aboutit bientôt à une inondation incontrôlée des villes, Incapables d'absorber l’afflux de 14 millions de personnes en l’espace de quatre ans [11]. Finalement, en 1953, le nouveau régime mit un frein à cet afflux en appliquant un contrôle drastique des flux migratoires intérieurs. Le maoïsme privilégia simultanément le prolétariat urbain — bénéficiaire du « bol de riz en fer » et de la Sécurité sociale du berceau à la tombe — et un encadrement strict de la croissance urbaine à travers l’adoption d'un système d'enregistrement des foyers qui conditionnait la citoyenneté sociale à l’appartenance sédentaire à une unité de travail.
En 1960, après avoir relogé ses sans-abri et éradiqué la plupart des bidonvilles urbains, Pékin continua à exercer un très fort contrôle sur l’émigration rurale informelle. La ville et la campagne étaient vues comme des mondes séparés qui ne devaient se rejoindre que selon des modalités soigneusement établies par le Parti-État. Si les résidents urbains obtenaient parfois la permission officielle de déménager pour une autre ville, il était absolument exceptionnel qu'un paysan obtînt le droit de quitter sa commune. De plus, au début des années 1960, d'énormes populations — jusqu'à 50 millions de personnes selon certaines estimations — de migrants urbains illégaux ont été renvoyées de force dans leurs villages d'origine [12]. En conséquence de quoi, selon Guilhem Fabre, sinologue à l’université du Havre, le taux de population urbaine tomba d'un pic de 20 % en 1960 à 12,5 % en 1971 [13]. Le même genre de contrôle des flux migratoires des campagnes vers les villes a été adopté au cours des années 1950 par la Corée du Nord, l’Albanie, et, moins sévèrement, par le Nord-Vietnam (avec le système du ho khau) — la triste palme de l’anti-urbanisme idéologique revenant sans aucun doute à Pol Pot et à sa déportation brutale des citoyens de Phnom Penh en 1975.
Les migrations urbaines rencontrèrent également des obstacles puissants, quoi que moins systématiques, en Amérique latine. Avant la Seconde Guerre mondiale, la plupart des urbains pauvres d'Amérique latine vivaient dans des logements locatifs des centres-ville, mais à la fin des années 1940 l’industrialisation par substitution aux importations déclencha un spectaculaire raz-de-marée de squatteurs à la périphérie de Mexico et d'autres villes sud-américaines. En réaction à la prolifération des bidonvilles, les autorités de plusieurs pays, soutenues par les classes moyennes urbaines, procédèrent à de nombreuses opérations coup de poing contre les implantations informelles. Comme un bon nombre des nouveaux immigrants urbains étaient des indigenistas ou des descendants d'esclaves, cette « guerre contre les bidonvilles » a souvent eu une dimension raciale.
Marcos Pérez Jiménez, le dictateur vénézuélien de l’après-guerre, fut l’un des plus grands pourfendeurs du logement informel. D'après trois auteurs de l’UCLA, « la solution de [son] gouvernement face au problème des barrios était le bulldozer. Un matin, policiers et camions se retrouvaient dans un barrio donné ; un responsable organisait le chargement des biens et bagages des résidents dans les camions ; les policiers géraient les éventuels récalcitrants ; une fois les biens et les résidents relogés dans les nouveaux appartements, on démolissait les maisons ». Les squatteurs étaient déportés vers les marges de Caracas, où ils étaient relogés dans des superbloques, monstrueuses barres de cages à lapins de quinze étages universellement honnies par leurs résidents [14].
À Mexico, la classe moyenne historique érigea Ernesto Uruchurtu en héros, qui ne cessa de se battre, au cours de ses deux mandatures de maire (1952-1958, 1964-1966), contre la marée de pauvres ruraux poussée vers la ville par le modèle de croissance économique nationale « centré sur Mexico DF » du PR1 (Parti révolutionnaire institutionnel). Lorsqu'il arriva au pouvoir en 1952, des milliers de ruraux en provenance du centre du Mexique étaient « parachutés » chaque mois à la périphérie de la ville. Les camps de squatteurs, appelés colonias populares, qui n'abritaient que le taux négligeable de 2,3 % de la population en 1947, étalent devenus en cinq ans la résidence de près d'un quart des citoyens de Mexico [15]. Uruchurtu était déterminé à mettre un coup d'arrêt à l’afflux des paysans en expulsant les paracaidistas, en nettoyant les mes des vendeurs à la sauvette, en s'opposant à l’octroi de droits de jouissance et de services aux colonias existantes. Comme le souligne la sociologue Diane Davis, la stratégie de croissance contrôlée d’Uruchurtu reflétait les préjugés raciaux sous-jacents de son assise électorale : « Comme nombre des résidents de la ville, Uruchurtu accusait les vagues massives de migrants pauvres et éduqués — souvent originaires d’Inde — d'être responsables de la ruine matérielle et sociale de la ville » [16].
Le déluge
Les barrages institutionnels à la croissance urbaine rapide ont été levés par la conjonction paradoxale de la contre-révolte coloniale et de l’indépendance nationale en Afrique et en Asie, et par le renversement des dictatures et des régimes à faible croissance en Amérique latine. Poussés vers les villes par des forces brutales et irrésistibles, les pauvres revendiquèrent leur « droit de cité » avec avidité, même si celui-ci se résumait à un taudis à la périphérie. Plus encore que la famine et la dette, la guerre civile et sa répression ont été les leviers les plus cruellement efficaces de l’urbanisation informelle des années 1950 et 1960.
Ainsi, dans le sous-continent indien, la Partition et ses contrecoups ethnico-religieux poussèrent des millions de personnes vers les bidonvilles. Bombay, Delhi, Calcutta, Karachi, Lahore et Dacca ont toutes été contraintes d'absorber des déluges de réfugiés dans les sillages violents de 1948 (Partition), 1964 (guerre indo-pakistanaise), et 1971 (sécession du Bangladesh) [17]. La population de Bombay, qui connut un taux de croissance annuel inférieur à 2 % au cours des dernières décennies de l’Empire britannique, a presque doublé à la fin des années 1940 et au début des années 1950, sous les effets de l’afflux massif de réfugiés miséreux en provenance du Pakistan et de l’expansion concomitante (bien que plus lente) de l’industrie textile [18]. Dans les années 1950, parallèlement, la moitié de la population de Karachi et d'Hyderabad était constituée de « muhajirs », réfugiés musulmans du Pendjab oriental. Ils ont été rejoints plus tard, dans les années 1970, par des centaines de milliers de Biharis miséreux : paysans et « doubles migrants » musulmans ayant fui d'abord vers le Pakistan oriental, puis, après la sécession du Bangladesh, vers le Pakistan [19]. Dès le départ, ces populations de réfugiés vivant dans des camps dépendaient massivement du soutien de bienfaiteurs politiques et de partis corrompus. Résultat : aussi bien au Pakistan qu'en Inde, le développement des bidonvilles se cala notoirement sur les cycles électoraux : à Karachi, les appropriations de terrains et les subdivisions pirates s'accroissent typiquement durant les années électorales, tandis qu'en Inde les élections [60] offrent aux squatteurs un pouvoir de pression pour obtenir la légalisation ou l’amélioration de leurs bustees. [20]
Au Sud-Vietnam, l’urbanisation forcée (appelée, avec une ironie orwellienne inconsciente, « modernisation ») faisait partie intégrante de la stratégie militaire américaine. Puisque, selon le stratège militaire Samuel Huntington, le Vietcong constituait « un pouvoir puissant que l’on ne peut déloger de sa base tant que sa base continue d'exister », lui et d'autres faucons plaidèrent pour l’éradication de cette « base ». Les bombardements américains de terreur furent opérés avec une telle force, « à une échelle si énorme qu'elle entraîné une migration massive des campagnes vers les villes [au point que] les présupposés sous-jacents de la doctrine maoïste de la guerre révolutionnaire [ont cessé] d'opérer [sic]. La révolution rurale d'inspiration maoïste est sapée à la base par la révolution urbaine soutenue par les Américains [21] ». Au cours des années de guerre, comme le souligne l’historienne Marilyn Young, le taux de population urbaine du Sud-Vietnam est passé de 15 % à 65 %, avec le déplacement de 5 millions de paysans transformés en habitants de bidonvilles ou de camps de réfugiés [22].
Sept années de guerre coloniale sans merci en Algérie (1954-1961) ont de même déplacé la moitié de la population rurale. Après l’indépendance de 1962, cette masse déracinée envahit les villes. Alger a vu sa population tripler sous l’arrivée massive d'immigrants pauvres qui s'entassèrent dans des bidonvilles de tôle ondulée ou, quand ils le pouvaient, dans les logements laissés vacants par la fuite de 900 000 colons. L'accent initialement porté par le nouveau régime sur le modèle soviétique de développement de l’industrie lourde et le relatif abandon de l’agriculture de subsistance renforcèrent l’exode rural. Alger se transforma très rapidement en une ville gravement surpeuplée, l’essentiel de sa population étant entassée dans des logements anciens dangereusement vétustes. Des dizaines de vieilles maisons de la Casbah se sont purement et simplement effondrées, tuant souvent leurs habitants. Parallèlement, les bidonvilles « socialistes » ont continué de s'étendre à la périphérie et le long des axes principaux [23].
Dans la Turquie de l’après-guerre, pendant ce temps, la migration vers les villes était dopée par le plan Marshall, la modernisation de l’agriculture et la croissance de l’industrie de substitution aux importations. Mais, comme le note le sociologue marxiste Çağlar Keyder, l’État kémaliste n'était prêt ni à construire des logements publics ni à céder des terrains publics aux entrepreneurs du secteur privé — au lieu de cela, c'est « la vaste inertie du clientélisme populiste qui domine ». Les migrants d'Anatolie étaient forcés de construire leurs propres bidonvilles à la périphérie d'Ankara et d'Istanbul en négociant avec les responsables locaux, et la décennie 1955-1965 est ainsi devenue l’époque héroïque du squattage, avec une population de geçekondus qui passa de 5 % (250 000 habitants) à 23 % (2,2 millions) de la population urbaine totale (pourcentage qui n'a pas, depuis, évolué de manière significative) [24]. Dans cette première période au moins, les geçekondus créèrent une synergie complice avec le système politique qui a fait d'eux le mode de logement populaire majoritaire. « Les politiciens, poursuit Keyder, préféraient généralement conserver le privilège de l’allocation arbitraire afin de susciter et préserver un soutien populaire, et ainsi renforcer leurs propres positions. L'existence de ce genre de relations clientélistes se fondait sur l’appropriation informelle des terrains. » [25]
Ailleurs au Moyen-Orient, les plus grandes vagues d'urbanisation informelle ont eu lieu une ou deux décennies plus tard, lors du boom de l’OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole) du début des années 1970. Ahmed Soliman estime que Le Caire a connu son « âge d'or de l’urbanisme sauvage » entre 1974 et 1990, quand l’afflux massif d'argent envoyé par les travailleurs émigrés en Arabie saoudite est venu combler certaines des failles laissées par l’effondrement de l’État-providence nassérien [26]. De même, en Iran, des centaines de milliers de travailleurs et artisans sans emploi migrèrent vers Téhéran au milieu des années 1970 pour y chercher du travail dans les briqueteries et sur les chantiers de construction, pour finir par se retrouver au chômage à partir de 1976. Leur désillusion et leur colère furent bientôt le ferment de la révolution islamique [27]. Révolution qui, à son tour, ouvrit un espace exceptionnel pour le développement des bidonvilles. « Tandis que les révolutionnaires défilaient dans les rues des grandes villes, explique Asef Bayat, les très pauvres travaillaient à accroître leur emprise sur les communautés et à étendre les terrains soumis à (mauvaise) construction ». Après la fuite du Shah, par ailleurs, « les familles pauvres profitèrent de l’effondrement des services de police pour annexer des centaines de logements vacants et autres immeubles inachevés, qu'ils réaménagèrent en se les appropriant ». Au grand dam des marchands traditionnels, les nouveaux pauvres installèrent en outre des centaines de kiosques, étals et autres charrettes de vente à la sauvette, transformant « les trottoirs en des lieux de commerce animés et hauts en couleur [28] ».
En Afrique subsaharienne, la campagne commença à se déverser dans les villes peu après l’indépendance. Dans la plupart des pays, à l’exception de l’Afrique du Sud, à partir des années 1960, les taux de croissance urbaine étaient égaux au double de la croissance naturelle de la population générale. Jusque dans les années 1980, dans la plupart des pays, la croissance urbaine était soutenue par des politiques coercitives qui obligeaient les paysans à livrer des produits agricoles à des prix inférieurs à ceux du marché et taxaient les ruraux de manière disproportionnée. Ainsi, au Zaïre, le président Mobutu dénonça régulièrement « les dangers du développement urbain hypertrophique, et ses fléaux consubstantiels que sont le chômage et la criminalité » tout en continuant à pressurer la campagne de manière si brutale que les paysans n'avaient guère d'autre choix que de fuir vers les zones urbaines [29]. Mais le prétendu « favoritisme urbain » du développement africain ne profita guère aux nouvelles masses urbaines — de fait, alors que les élites postcoloniales et les armées s'engraissaient sur le dos de la campagne, la fourniture des villes en infrastructures et en services se détériora rapidement. [30]
En Amérique latine, à la même époque, le renversement des dictatures créa des ouvertures temporaires pour l’appropriation et le squattage de terrains, en même temps que les puissantes rivalités partisanes et la menace de révolution qu’elles impliquent offraient épisodiquement aux immigrants urbains la possibilité d'échanger leurs bulletins de vote contre des terrains et des infrastructures. Au Vénézuela, selon une étude récente, « les armées cruciales pour la formation des barrios de Caracas sont les années 1958-1960 ». Entre le renversement de Pérez Jiménez et l’élection de Rômulo Betancourt, la junte gouvernementale provisoire suspendit les expulsions dans les barrios et versa des allocations publiques aux chômeurs ; résultat : 400 000 personnes, pauvres pour l’essentiel, sont venues s'installer à Caracas en à peine plus d’un an. Ensuite, la rude compétition à laquelle, dans leur chasse aux voix, se livrèrent les deux grands partis politiques—Action démocratique (AD, centre gauche) et Copei (Comité pour des élections indépendantes, centre droit) — ouvrit grand les vannes (que Pérez Jiménez avait tenté de fermer) de l’expansion explosive des barrios informels sur les collines entourant la ville. Caracas et d'autres villes vénézuéliennes vont alors croître à un rythme africain : au cours des années 1960, le pays passa de 30 % de population urbaine à 30 % de population rurale [31].
À Mexico, la stratégie de croissance maîtrisée et de lutte contre les bidonvilles d'Uruchurtu se révéla finalement Incompatible avec la demande de main-d'œuvre bon marché des industriels et des investisseurs étrangers, ainsi qu'avec la demande de logements bon marché des travailleurs. De même, les puissants entrepreneurs immobiliers se sont sentis bridés par la Commission de planification conservatrice du maire. La goutte d'eau qui fit déborder le vase fut l’opposition d'Uruchurtu à la construction du métro de la ville. Après un ultime geste de défi — la destruction au bulldozer de la Colonia Santa Ursula d'Ajusco en septembre 1966 — il fut renversé par le président Gustavo Diaz Ordaz, politicien connu pour ses nombreuses accointances avec les investisseurs étrangers et les spéculateurs immobiliers. Un programme de croissance rapide incluant une grande tolérance pour l’urbanisation sauvage en périphérie en échange d'un renouveau urbain du centre-ville devint la politique du PRI à La Capital [32].
Une génération après la chute des barrières qui, ailleurs, limitaient l’afflux de populations rurales et l’urbanisation sauvage, la Chine commença à assouplir son contrôle sur la croissance urbaine au début des années. 19.80. Du fait de l’existence d'un immense réservoir de main-d'œuvre paysanne sans emploi (dont la moitié de la population active du Sichuan, d'après le journal People’s Daily), le relâchement de la digue bureaucratique produisit un véritable « raz-de-marée paysan [33] ». L’immigration légale était submergée par un énorme flot d'immigrants clandestins, ou « flottants ». Sans permis de résidence familiale en règle, donc privée de la citoyenneté officielle qu'il confère, cette gigantesque masse de paysans pauvres (dont le nombre est aujourd'hui estimé à 100 millions) n'avait plus légalement accès aux services ni aux logements sociaux. Elle devint au contraire le combustible humain ultra bon marché des sweatshops pour l’export du delta de la Rivière des perles et des chantiers de construction de Shanghai et Pékin, tout en se logeant elle-même dans des cabanes de fortune et des appartements surpeuplés à la périphérie des villes. En revenant en Chine, le capitalisme a apporté avec lui le bidonville urbain sordide.
Enfin, à la fin des années 1980, les dirigeants sud-africains, confrontés aux soulèvements de bidonvilles les plus importants de l’histoire mondiale (les mouvements « civiques » des townships noirs), ont été forcés d'abolir le système dictatorial des contrôles — d'abord la Pass Law en 1986, puis le Group Areas Act en 1991 — qui limitaient jusqu'alors l’immigration urbaine et la résidence en ville. Rian Malan décrit ainsi l’impact que cela a eu sur la métropole du Cap, où la population noire a fait plus que tripler entre 1982 et 1992 :
« Après [...] l’abolition des Pass Laws honnies, ce fut comme si un lointain barrage avait cédé, permettant à un Rot d'humanité à la fois désespérée et pleine d’espoir de submerger les montagnes pour se déverser dans les plaines des environs du Cap. Ils arrivaient au rythme de quatre-vingts, quatre-vingt-dix familles par jour, et construisaient leurs logements à mains nues, avec des poteaux de bois, des plaques de tôle ondulée, des bouts de trucs et de machins récupérés dans les décharges de la ville, et des sacs-poubelle pour se protéger de la pluie. En deux ans, les dunes de sable finirent par disparaître sous un immense océan de cahutes et de masures, aussi densément bâti qu'une ville médiévale, et peuplé de personnages fantastiques — contrebandiers, gangsters, prophètes, rastafariens, trafiquants d'armes et magnats de la marijuana —, plus près d'un million de travailleurs ordinaires [34]».
Promesses brisées et rêves volés
Le bidonville n'était pas l’inéluctable avenir des villes. Début 1960, par exemple, le nouvel Institut national de l’épargne et du logement de Cuba, dirigé par la légendaire Pastorita Núnez, commença à remplacer les grands bidonvilles célèbres de La Havane (Las Yaguas, Llega y Pon, La Cueva del Humo, etc.) par des maisons préfabriquées construites par les résidents eux-mêmes. Sept ans plus tôt, lors de son procès pour l’attaque de la caserne de Moncada, Fidel Castro avait promis aux Cubains une révolution qui appliquerait le droit à un logement décent garanti par la Constitution progressiste de 1940. En 1958, près d'un tiers des Cubains vivait dans des bidonvilles ou des camps de squatteurs. Et les premières années dorées de la révolution ont effectivement été marquées par un gigantesque effort national pour reloger [65] les pauvres, même s'il apparaît, rétrospectivement, que nombre des programmes alors mis en œuvre n'ont été que de piètres adaptations du modernisme [35].
Bien que l’engagement du Cuba révolutionnaire pour un « nouvel urbanisme » ait été avant-gardiste, l’idéal d'un droit au logement universel n'était pas unique dans le tiers monde de la fin des années 1950 et du début des années 1960 : Nasser, Nehru et Sukamo promettaient eux aussi de reconstruire les bidonvilles et de créer un nombre faramineux de nouveaux logements. En plus des logements subventionnés et du contrôle des loyers, le « contrat avec l’Égypte » de Nasser garantissait un poste de fonctionnaire à tout jeune diplômé du secondaire. L'Algérie révolutionnaire vota des lois garantissant la gratuité et l’universalité des soins de santé et de l’éducation, en même temps que l’octroi d'allocations logement aux urbains les plus pauvres. Les États africains « socialistes », à commencer par la Tanzanie au début des années 1960, avaient tous, au début, des programmes ambitieux pour reloger les habitants des bidonvilles dans de nouveaux logements bon marché. Le Mexico des années Uruchurtu s'offrit les services d'architectes immigrés de renom, comme Hannes Meyer, du Bauhaus, pour concevoir des tours de logements destinées aux travailleurs syndiqués et aux fonctionnaires, qui n'avaient rien à envier à ce qui se faisait alors en Europe du Nord. Au Brésil, pendant ce temps, le président João Goulart et le gouverneur radical du Rio Grande do Sui Leonel Brizola gagnaient un large soutien pour leur projet de New Deal urbain. Plus tard dans la même décennie, le dictateur militaire du Pérou Juan Velasco Alvarado, plutôt à gauche, prendra une longueur d’avance sur le fidelismo en subventionnant de massives appropriations de terrains et en lançant un ambitieux programme étatique de rénovation des barriadas (qu'il rebaptisa avec optimisme « pueblos jovenes »).
Près d'un demi-siècle plus tard, le programme de logement progressiste de Cuba n'avance plus qu'à la vitesse d'un escargot à cause des mesures d'austérité de la « Période Spéciale » consécutive à l’effondrement de l’URSS, et la situation en matière de logement est très en retard par rapport aux impressionnantes réussites en matière de santé et d'éducation. Exception faite des cas particuliers que sont Hong Kong et Singapour, la Chine fut le seul pays en voie de développement à construire, dans les armées 1980 et 1990, d'énormes quantités de logements collectifs décents (même si cette « révolution non chantée », selon l’expression de l’urbaniste Richard Kirkby, est en elle-même très loin de satisfaire les besoins des dizaines de millions de paysans qui viennent s'installer en ville) [36].
Dans le reste du tiers monde, l’idée d'un État interventionniste fortement impliqué dans les problèmes du logement social et de la création d'emplois passe au mieux pour une hallucination, au pire pour une mauvaise blague, tant les gouvernements ont depuis longtemps abdiqué toute réelle volonté de lutter contre les bidonvilles et la marginalité urbaine. Dans de trop nombreuses villes pauvres, les citoyens ont avec leur gouvernement des relations comparables à celles qu'un habitant de bidonville de Nairobi décrivait ainsi récemment à un reporter du Guardian : « L'État ne fait rien ici. Il ne fournit pas d’eau, pas d'écoles, pas d'hygiène, pas de routes, pas d'hôpitaux ». De fait, le journaliste a découvert que les résidents achetaient leur eau auprès de revendeurs privés et s'appuyaient sur des milices pour assurer leur propre sécurité, la police ne passant chez eux que pour ramasser ses bakchichs [37].
Le minimalisme du rôle des gouvernements nationaux dans le domaine du logement a été accentué par l’orthodoxie économique néolibérale définie par le FMI et la Banque mondiale. Les programmes d'ajustement structurel (PAS) imposés aux nations débitrices à la fin des années 1970 et 1980 exigeaient une réduction drastique des programmes étatiques et, souvent, la privatisation du marché du logement. Les gouvernements avaient cependant déjà commencé à abandonner tout rôle social dans le tiers monde avant que les PAS n'y sonnent le glas de l’État-providence. Puisque tant d'experts travaillant pour le « consensus de Washington » ont jugé que la prise en charge étatique du problème du logement menait inévitablement à la catastrophe, il est important de s'arrêter ici sur quelques cas d'école, en commençant par ceux qui, à première vue, peuvent sembler constituer les principales exceptions à la règle de l’échec des politiques étatiques.
Les deux villes tropicales où des programmes de logements publics à grande échelle ont offert une alternative aux bidonvilles sont Singapour et Hong Kong. En tant que ville-État dotée d'une politique de strict contrôle de l’immigration, Singapour est protégée de la pression démographique que les arrière-pays exercent ailleurs. « L’essentiel du problème, explique Erhard Berner, est exporté vers Johor Barn », la Tijuana de Singapour [38]. Hong Kong, à l’inverse, a dû absorber par le passé des millions de réfugiés, et doit aujourd'hui faire face à l’arrivée des migrants du continent. Mais le succès de l’ancienne colonie de la Couronne en matière de relogement des squatteurs, des habitants des taudis et des réfugiés de la guerre civile dans des immeubles publics neufs n'est pas tout à fait le miracle humanitaire que l’on décrit souvent.
Comme l’a montré Alan Smart, la politique du logement à Hong Kong consistait en un subtil jeu à trois bandes entre les intérêts respectifs des entrepreneurs immobiliers, du capital industriel et de la résistance populaire, avec en arrière-plan la menace toujours présente d'une intervention de la RPC (République populaire de Chine). Le défi était de concilier l’apport continu de main-d'œuvre bon marché avec l’explosion du marché foncier, et la solution choisie n'a pas été celle de loyers élevés — qui auraient nécessité une augmentation des salaires — mais celle de la périphérisation et du surpeuplement. En 1971, écrit Smart, un million de squatteurs furent relogés « sur des terrains dont la superficie ne représente que 34 % des surfaces précédemment occupées, et situés dans des zones périphériques de bien moindre valeur ». De même, des centaines de milliers de résidents pauvres avaient été expulsés de leurs logements sociaux du centre-ville pour être relogés à la périphérie. Au début des années 1960, l’espace alloué par adulte dans le secteur du logement public n'était que de 2,23 m², avec sanitaires et cuisine communs pour tout un étage. Même si ces conditions se sont améliorées dans les programmes de construction ultérieurs, Hong Kong conserva la plus forte densité de peuplement en secteur légal de la planète : c'est le prix à payer pour libérer un maximum de surface au profit des gratte-ciel de bureaux et d'appartements obéissant aux prix du marché. [39]
Dans leur restructuration de l’économie spatiale de Hong Kong, les planificateurs ne se sont que rarement intéressés aux stratégies effectivement déployées par les urbains pauvres pour gagner leur vie, notamment au fait qu'ils utilisent souvent leur logement comme atelier, ou qu'ils ont besoin de se loger à proximité des marchés et des usines du centre. L'incompatibilité du logement en gratte-ciel périphérique avec les structures sociales et les économies informelles des communautés pauvres relève, bien sûr, de l’histoire ancienne : c'est un péché originel que les urbanistes réformateurs et les responsables des politiques du logement ne cessent de commettre, décennie après décennie, partout sur la planète. Ainsi, dans les années 1850, la Cité Napoléon à Paris, programme modèle de logements ouvriers du baron Haussmann, a été rejetée par les résidents pour lesquels elle était conçue à cause de son uniformité et de ses allures de « caserne ». D'après l’historienne Ann-Louise Shapiro : « Ils estimaient, avec mécontentement, que les philanthropes et les entrepreneurs commençaient à reléguer les travailleurs dans des quartiers spéciaux, comme cela se faisait au Moyen Age, et exigeaient au contraire que le gouvernement taxe les appartements vacants pour faire baisser le prix des loyers et rendre accessible un plus grand nombre de logements dans les immeubles socialement mixtes du centre-ville ». Pour finir, le célèbre programme d'Haussmann « n'accueillit que des locataires bourgeois [40] ».
La Cité Napoléon a une nombreuse descendance dans le tiers monde. Ainsi, à Jakarta, les logements publics ne présentent aucun caractère d'attractivité pour l’immense majorité des travailleurs du secteur informel parce qu'ils n'offrent pas d'espace pour l’aménagement d'ateliers à domicile ; en conséquence, ils sont très majoritairement occupés par des fonctionnaires, notamment de l’armée [41]. À Pékin, où la construction de grandes barres a entraîné une réelle amélioration quantitative de l’offre en termes de surface de logement, les résidents d [40]e ces tours se plaignent néanmoins d'une perte de solidarité et de sens de la communauté. Quand on les interroge, les résidents font part d'un déclin spectaculaire dans le nombre d'interactions sociales, dans les rapports entre voisins et dans la fréquence avec laquelle les enfants jouent entre eux, ainsi que d'un accroissement de l’isolement et de la solitude des personnes âgées [42]. Il en va de même à Bangkok, où, selon une étude menée par deux chercheurs européens, les pauvres préfèrent concrètement leurs anciens bidonvilles aux nouvelles barres de logements.
« Les agences qui planifient l’éradication des bidonvilles voient les logements bon marché dans des banes d'immeubles comme une alternative pour les gens ; les résidents des bidonvilles savent que la vie dans ces logements réduirait leurs moyens de reproduction et leur capacité de production de subsistance. Par ailleurs, la localisation de ces appartements rend l’accès au travail plus’difficile. C’est la raison toute simple pour laquelle les habitants des bidonvilles préfèrent rester dans leurs bidonvilles et sont prêts à se battre pour éviter l’expulsion. Pour eux, le bidonville est le lieu où, même dans des conditions qui vont en se détériorant, la production demeure possible. Pour l’urbaniste, ce n'est qu'un cancer dans la ville » [43].
Pendant ce temps, l’« usurpation » — pour reprendre le terme employé par les experts de la question du logement — par les classes moyennes des logements publics ou subventionnés par l’État est devenue un phénomène quasiment universel. Ainsi, au début des années 1980, l’Algérie commença à subdiviser des réserves de terrains urbains en parcelles, dans le but affiché de les confier, pour construction, à des coopératives de logement. Les matériaux de construction étaient fournis à des prix subventionnés. Mais, comme le remarque l’architecte Djaffar Lesbet, cet équilibre apparemment élégant entre aide étatique et initiative locale échoua à démocratiser l’accès au logement : « Ces parcelles constructibles ont été confiées à ceux que le système privilégie pour qu'ils conservent leur avance, pour qu'ils accèdent à la propriété. Elles ont également contribué à adoucir la nature dramatique et politique de la crise du logement en réduisant cette question nationale à un problème purement individuel [44]». Résultat : des fonctionnaires et autres membres des classes moyennes ont ainsi acquis des foyers et des pavillons semi-détachés subventionnés par l’État, pendant que les vrais pauvres finissaient dans les cabanons illégaux des bidonvilles. Bien qu'elle n'ait pas connu l’élan révolutionnaire de l’Algérie, la Tunisie a elle aussi développé d'importants programmes de logements subventionnés, dont 75 % restaient cependant inabordables pour les pauvres, qui s'entassèrent dans les vastes bidonvilles de Tunis que sont, par exemple, Ettadhamen, Mellassine et Djebel Lahmar [45].
L'Inde illustre la même tendance sous diverses formes. Dans les années 1970, par exemple, les autorités municipales et gouvernementales lancèrent un programme extrêmement ambitieux visant à fonder une nouvelle ville jumelle, sur le continent, face à la péninsule de Bombay. On promettait aux urbains pauvres de nouveaux logements et des emplois dans la scintillante New Bombay (aujourd'hui Navi Mumbai), mais on assista au contraire à l’expulsion et au déplacement des pauvres du continent, avec perte de leurs terrains et de leurs gagne-pain, et à l’occupation de la très grande majorité des nouveaux logements par des fonctionnaires et autres membres des classes [70] moyennes [46]. De même, à Delhi, l’Agence de développement distribua un demi-million de parcelles, mais « la plupart ont été immédiatement récupérées par les riches ». Les études montrent que seuls 110 000 logements ont effectivement été construits pour les pauvres dans une ville qui expulse actuellement 450 000 habitants de ses bidonvilles « clandestins » [47].
Calcutta, où le Front de gauche arriva au pouvoir à la fin des années 1970, devrait offrir un tableau différent dans la mesure où le Parti communiste indien (marxiste) faisait depuis longtemps campagne pour la « libération » des habitants des bidonvilles. Avec le temps, cependant, les promesses initiales de relogement des pauvres ont été oubliées au profit de la séduction électoraliste des classes plus privilégiées. « On continue, dit l’écrivain Frederic Thomas, à se fendre de quelques mots en faveur des pauvres, mais la plus grosse partie du budget est dépensée pour la satisfaction des besoins des classes moyennes et supérieures. Seuls 10 % des investissements de l’Agence de développement urbain de Calcutta sont consacrés à la rénovation des bustees [48]». Au Vietnam aussi, les politiques de logement révolutionnaires ont été détournées de leur but pour profiter aux élites du régime, ne laissant que de maigres restes aux véritables pauvres. « L'accès au logement étatique ou municipal, écrivent les chercheurs Nguyen Duc Nhuan et Kosta Mathéy, est en grande partie réservé aux fonctionnaires et aux membres de l’armée, qui ont statutairement droit à un appartement de trois pièces, qu’ils sous-louent fréquemment, quand ils ne les occupent pas eux-mêmes, pour arrondir leurs fins de mois [49]».
Le Nigéria clamait naguère bruyamment qu'il utiliserait la croissance exponentielle de sa rente pétrolière pour reloger ses urbains pauvres, mais ses 3e et 4e Plans de développement nationaux se sont transformés en de piètres mascarades de leurs ambitieuses promesses : moins d'un cinquième des logements planifiés ont été effectivement construits, et la plupart ont été attribués à des gens autres que les pauvres [50]. De même, à Kano, les logements sociaux destinés aux fonctionnaires (dans la continuité de la tradition coloniale) ont été accaparés par des individus qui, disposant de revenus bien au-dessus du plafond légal d'éligibilité, n'y avaient normalement pas droit, mais qui sont politiquement puissants [51]. La Jamaïque offre un autre exemple de pays où la rhétorique des promesses populistes ne fut jamais suivie d'effets. Le National Housing Trust (NHT, Fondation nationale pour le logement) possède certes une assise financière relativement solide, mais — comme le soulignent Thomas Klak et Marlene Smith — il fait pour ainsi dire tout sauf construire des logements pour les pauvres. « Le NHT consacre actuellement l’essentiel de son budget au paiement des salaires de ses propres employés, à aider le gouvernement central à satisfaire ses exigences de stock, à fournir des aides financières temporaires pour des projets de construction de logements destinés aux plus riches et ne relevant même pas nécessairement du NHT, et à financer les hypothèques d'un nombre relativement faible de collaborateurs à forts revenus [52]».
À Mexico, où, pendant les années 1980, le marché officiel du logement ne pouvait satisfaire qu’un quart des besoins, le logement est massivement subventionné pour les familles de militaires, de fonctionnaires et les membres de quelques syndicats puissants, comme celui des travailleurs du pétrole, mais les foyers très pauvres ne reçoivent que quelques miettes d'aide étatique. Ainsi, le Fovi (Fonds pour le logement), le fonds gouvernemental qui s'occupe du segment médian du marché du logement (pour des foyers ayant un revenu jusqu'à dix fois supérieur au salaire minimum), mobilise jusqu'à 50 % des ressources fédérales dédiées au logement, tandis que le Fonhapo (Fonds pour le logement populaire), qui s'occupe du segment le plus pauvre, n'en touche que 4 % [53]. John Betancur observe une situation similaire à Bogotá, où les tranches de revenus moyens reçoivent de généreux subsides tandis que l’État n'accorde son aide aux plus pauvres qu'au compte-gouttes. À l=Lima, de même, la plupart des logements publics ou subventionnés sont accaparés par des membres des classes moyennes ou des fonctionnaires [54].
Les élites urbaines et les classes moyennes du tiers monde ont également très bien réussi à échapper aux impôts locaux. « Dans la plupart des pays en voie de développement, note Oberai, de l’organisation internationale du travail, le potentiel de revenu de la fiscalité foncière n'est pas utilisé à plein rendement. Les systèmes existants tendent à pâtir d'une administration peu performante en matière d'estimation de la valeur des biens, d'une érosion considérable de l’assiette fiscale due à la multiplication des exonérations, et de faibles performances en matière de collecte de l’impôt [55]». Oberai est trop poli : les urbains riches d'Afrique, d'Asie du Sud et d'une grande partie de l’Amérique latine sont massivement, voire criminellement, sous-imposés par les gouvernements locaux. De plus, comme les villes confrontées à des difficultés financières en sont venues à recourir à des systèmes d'imposition et de charges dégressifs — qui génèrent par exemple 40 % du revenu de Mexico —, le poids de l’impôt a été transféré de manière encore plus unilatérale des riches vers les pauvres. Dans une analyse comparative précieuse, car rare, de l’administration fiscale de dix villes du tiers monde, Nick Devas met en lumière un schéma régulièrement dégressif, et peu de signes d'efforts sérieux pour évaluer et collecter les taxes foncières auprès des riches [56].
La responsabilité de cette situation revient en partie au FMI qui, dans son rôle de chien de garde financier du tiers monde, prône partout la mise en place de systèmes de calcul dégressif des droits et des charges liés à l’usage des services publics, sans jamais exiger d'efforts parallèles en matière de taxation de la fortune, de la consommation notoirement excessive ou de la propriété. De même, la [75] Banque mondiale mène une croisade pour la « bonne gouvernance » des villes du tiers monde tout en sapant leurs chances d’y parvenir en ne soutenant que rarement les systèmes de taxation progressive [57].
L'« usurpation » et l’inégalité fiscale sont toutes deux, bien sûr, le signe du faible poids politique de la majorité pauvre dans la plupart des villes du tiers monde ; la démocratie urbaine est encore l’exception et non la règle, notamment en Afrique. Même quand les pauvres qui habitent dans les bidonvilles ont le droit de vote, ils peuvent rarement s'en servir pour obtenir des redistributions conséquentes des dépenses et des ressources fiscales : toutes sortes de stratégies structurelles — dont la fragmentation de la politique urbaine, le contrôle des budgets par des autorités régionales ou nationales, et l’établissement d'agences autonomes — sont mises en œuvre pour isoler la gouvernance urbaine du pouvoir populaire. Dans son étude de la région de Bombay, Alain Jacquemin met en lumière la confiscation du pouvoir local par les instances de développement urbain, dont le rôle est de construire des infrastructures modernes permettant aux quartiers riches des villes pauvres de se brancher — eux seuls — sur la cyber-économie mondiale. Ces instances, écrit-il, « ont continué à saper le travail et le rôle des gouvernements municipaux démocratiquement élus, déjà affaiblis par la perte de responsabilités sectorielles et d'autonomie en matière de finances et de ressources humaines au profit d'autorités ad hoc. Pas étonnant que lès besoins exprimés localement au niveau de la municipalité ou du quartier ne soient jamais entendus [58]».
À quelques exceptions près, donc, l’État postcolonial a complètement trahi ses premières promesses aux pauvres des villes. Il existe un consensus parmi les chercheurs spécialisés dans les problématiques de la ville pour dire que les logements publics et sociaux du tiers monde ont d'abord et avant tout profité aux classes moyennes et aux élites urbaines, qui entendent payer de faibles taxes tout en bénéficiant de services municipaux de bonne qualité. En Égypte, Ahmed Soliman conclut que « l’investissement public [dans le secteur du logement] a été largement gaspillé », en conséquence de quoi « environ 20 millions de personnes vivent actuellement dans des logements dangereux pour leur santé et pour leur sécurité [59] ».
De même, dans le cas de l’Inde, Nandini Gooptu décrit ainsi la transformation des politiques destinées aux pauvres en leur contraire sous l’ère Gandhi :
« Au bout du compte, la grande et belle vision de la transformation urbaine sera progressivement domestiquée et réduite comme peau de chagrin pour satisfaire les intérêts immédiats des classes possédantes. Au lieu de se déployer comme des projets Idéalistes de régénération sociale, les programmes d'urbanisme se transformeront en de véritables boulevards pour la satisfaction des intérêts et des aspirations des possédants, et en instruments de la marginalisation croissante des pauvres. La guerre contre les bidonvilles en viendra à ressembler dangereusement à une bataille pour le contrôle des implantations et des habitations des pauvres, et, de fait, à une offensive contre les pauvres eux-mêmes » [60].
Notes
[1] Alan GILBERT et Peter WARD, Housing, the State and the Poor: Pollicy and Practice in Three Latin Cities, Cambridge, 1985, p. 254.
[2] Richard HARRIS et Malak WAHBA, « The Urban Geography of Low-Income Housing: Cairo (1947-1996) Exemplifies a Model», International Journal of Urban and Regional Research, 26 :1, mars 2002, p. 59.
[3] Garth MYERS, « Colonial and Postcolonial Modernities ln Two African Cities », Canadian Joumal of African Studies, 37 :2-3, 2003, p. 338-339.
[4] Philip AMIS, « Commercialized Rental Housing in Nairobi », art. cit., p. 238.
[5] Karin NURU, « Tanzania », in Kosta MATHEY (sous la dir. de), Housing Policies in the Socialist Third World, Munich, 1990, p. 183.
[6] Garth MYERS, « Colonial and Postcolonial Modernities ln Two African Cities », art. cit., p. 334.
[7] Michel GARENNE, Urbanization, Powrty and Child Mortality ln Sub-Saharan Africa, Paris, 2003, tableau 1, p. 22.
[8] Voir le chap. 3 de Nandini GOOPTU, The Politics of the Urban Poor, op. cit.
[9] Carwford YOUNG et Thomas TURNER, The Rise and Decline of the Zairan State, Madison (Wisconsin), 1985, p. 87.
[10] Jean SURET-CANALE, Afrique noire occidentale et centrale. L'ère coloniale : 1900-1945, Editions sociales, Paris, 1971, p. 518.
[11] On-Kwok LAI, « The Logic of Urban Development and Sium Settlements», ln Brian ALDRICH et Ranvinder SANDHU (sous la dir. de), Housing the Urban Poor, op. cit., p. 284.
[12] Dorothy SOLINGER, Contesting Citlzenship in Urban China : Peasant Migrants, the State and the Logic of the Market, Berkeley, 1999, p. 2 et p. 41.
[13] Guilhem FABRE, tableau 1, « La Chine», in Thierry PAQUOT, Le Monde des villes. Panorama urbain de la planète, Complexe, Bruxelles, 1996, p. 196.
[14] Kenneth KARST, Murray SCHWARTZ et Audrey SCHWARTZ, The Evolution of Law ln the Barrios of Caracas, op. cit., p. 7.
[15] Keith PEZZOLI, « Mexico's Urban Housing Environments », art. cit., p. 147.
[16] Diane DAVIS, Urban Leviathan : Mexico City in the Twentieth Century, Philadelphie, 1994, p. 132-13S et p. 155.
[17] FrederlcTHOMAS, Calcutta Poor, op. cit., p. 41.
[18] Sufata PATEL, « Bombay's Urban Predicament », in Sujata PATEL et Alice THORNER (sous la dir. de), Bombay: Metaphor for Modern lndia, Delhi, 1996, p. XVI.
[19] Oskar VERKAAIK, Migrants and Militants : Fun and Urban Violence ln Pakistan, Princeton, 2004, p. 64.
[20] Robert-Jan BAKEN et Jan VAN DER LINDEN (sous la dir. de), Land Delivery for Low lncome Groups ln Third World Cities, Aldershot, 1992, p. 31.
[21] Samuel HUNTINGTON, « The Bases of Accommodation», Foreign Affairs, 46 :4, juil. 1968, p. 650-653.
[22] Marilyn YOUNG, The Vietnam Wars: 1945-1990, New York, 1991, p. 177.
[23] Djaffar LESBET, « Algeria », in Kosta MATHEY (sous la dir. de), Housing Policies in the Socialist Third World, op. dt., p. 252-263.
[24] Çaglar KEYDER, Istanbul, op. dt., p. 147; H. Tarik SENGUL, « On the Trajectory of Urbanization in Turkey », International Development Planning Review, 25 :2, 2003, p. 160.
[25] Çaglar KEYDER, «The Houslng Market from Informal to Global», p. 147.
[26] Ahmed SOUMAN, A Possible Way Out, op. dt., p. 51.
[27] Farhad KAZEMI, Poverty and Revolution in Iran: The Migrant Poor, Urban Marginality, and Politics, New York, 1980, p. 114.
[28] Asef BAYAT, « Un-civil Society», art. cit., p. 53.
[29] Carwford YOUNG et Thomas TURNER, The Rise and Decline of the Zairian State, op. cit.. p. 98; Deborah POSEL, « Curbing African Urbanization ln the 1950s and 1960s », in Mark SWILLING, Richard HUMPHRIES et Khehla SHUBANE (sous la dir. de), Apartheid City in Transition, Le Cap, 1991, p. 29-30.
[30] Carole RADOKI, « Global Forces, Urban Change, and Urban Management ln Africa », in Carole RADOKI, The Urban Challenge in Africa, p. 32-39.
[31] URBAN PLANNING STUDIO, Disaster-Resistant Caracas, Columbia University, New York, 2001, p. 25.
[32] Diane DAVIS, Urban Leviathan, op. cit, p. 135 et p. 177-180.
[33] Dorothy SOLINGER, Contesting Citizenship in Urban China, op. cit., p. 155.
[34] Rian MALAN, cité ln Westen, p. XXII.
[35] Joseph SCARPACI, Roberto SEGRE et Mario COYULA, Havana: Two Faces of the Anti-Ilean Metropolis, Chapel Hill, 2002, p. 199-203.
[36] Richard KIRBY, «China», ln Kosta MATHEY (sous la dir. de), Beyond Self-Help Housing, Londres, 1992, p. 298-299.
[37] Andrew HARDING, « Nairobi Slum Life » (série), Guardian, 4, 8, 10 et 15 octobre 2002.
[38] Erhard BERNER, « Learning from Informal Markets», art. cit., p. 244.
[39] Alan SMART, Making Room, p. 1, p. 33, p. 36, p. 52 et p. SS.
[40] Ann-Louise SHAPIRO, « Paris», in M. J. DAUNTON (sous la dir. de), Housing the Workers, 1850-1914: A Comparative Perspective, Londres, 1990, p. 40-41.
[41] Hans-Dieter EVERS et Rüdiger KORFF, Southeast Asian Urbanism: The Meaning and Power of Social Space, New York, 2000, p. 168.
[42] Victor SIT, Beijing; The Nature and Planning of a Chinese Capital City, Chichester, 1995, p. 218-219.
[43] Hans-Dieter EVERS et Rüdiger KORFF, Southeast Asian Urbanism, op. cit., p. 168.
[44] Djaffar LESBET, « Algeria », art. cit., p. 264-265.
[45] Frej STAMBOULI, « Tunis : crise du logement et réhabilitation urbaine », ln Philip AMIS et Peter LLYOD (sous la dir. de), Housing Africa's Urban Poor, op. cit., p. 155.
[46] Alain JACQUEMIN, Urban Development and New Towns in the Third World, op. cit., p. 196-197.
[47] Neellma RISBUD, « Pollicies for Tenure Security in Delhi », in Alain DURAND-LASSERVE et Lauren ROYSTON (sous la dir. de), Holding Their Ground, op. cit., p. 61.
[48] Frederic THOMAS, Calcutta Poor, op. cit., p. 147.
[49] Nguyen Duc NHUAN et Kosta MATHEY, « Vietnam », in Kosta MATHEY, Housing Policies in the Socialist Third World, op. cit., p. 282.
[50] T. OKOYE, « Historical Development of Nigerian Housing Policies », ln Philip AMIS et Peter LLYOD (sous la dir. de), Housing Africa's Urban Poor, p. 81.
[51] H. MAIN,« Housing Problems and Squatting Solutions in Metropolitan Kano », in Robert POTTER et Ademola SALAU (sous la dir. de), Cities and Development ln the Third World, Londres, 1990, p. 22.
[52] Thomas KLAK et Mariene SMITH, « The Political Economy of Formal Sector Housing Finance in Jamaica », in Kavita DATTA et Gareth A. JONES (sous la dir. de), Housing and Finance in Developing Countries, op. cit., p. 72.
[53] Keith PEZZOLI, « Mexico's Urban Housing Environments », art. cit., p. 142.
[54] John LEONARD, « Lima: City Profile», Cities, 17 :6, 2000, p. 437.
[55] A. S. OBERAI, Population Growth, op. cit., p. 169.
[56] Nick DEVAS, « Can Oty Governments in the South Deliver for the Poor? », International Development and Planning Review, 25 :1, 2003, p. 6-7.
[57] A. S. OBERAI, Population Growth, op. dt., p. 165 et p. 171.
[58] Alain JACQUEMIN, Urban Development and New Towns in the Third World, op. dt.,
p. 41 et p. 65; voir aussi K. SIVARAMAKJUSHNAN, « Urban Governance », art. cit.,
[59] Ahmed SOLIMAN, in Ananya ROY et Nezar AL SAYYAD (sous la dir. de), Urban Informality: Transnational Perspectives from the Middle East, Latin America, and SouthEast Asia, l.anham (Maryland), 2004, p. 171 et p. 202.
[60] Nandini GOOPTU, The Politics of the Urban Poor, op. cit., p. 84.